Raymond Gaches

(1615-1665)

 

Alexandre Vinet sur la prédication de Raymond Gaches

Extrait de A. Vinet, Histoire de la prédication parmi les réformés de France au dix-septième siècle, Paris, 1860, 719 p.

Nous savons peu de chose de Raymond Gaches ; mais le fait qu’il fut pasteur à Charenton montre assez que c’était un homme distingué. Il desservit cette église de 1654 à 1668, époque de sa mort. Il a publié, outre un certain nombre de sermons détachés, un volume intitulé : Seize sermons sur divers sujets de l’Écriture sainte, imprimé à Genève en 1660.

Il n’est ni dialecticien exercé, ni théologien profond, comme plusieurs autres ; la justesse du jugement et la sûreté des vues lui manquent souvent ; mais il a une belle et riante imagination, qui sait tirer parti de la poésie du christianisme, tout à fait négligée par ses contemporains. Il a aussi de la sensibilité, on pourrait presque dire de l’onction. Ainsi dans le passage suivant, tiré du sermon sur 2 Pierre 1.1s :  

« L’Église de Dieu retentit, mes frères, de continuelles bénédictions ; les fidèles unissent leurs cœurs et leurs voix pour bénir l’Éternel leur Dieu; l’Éternel fait descendre ses bénédictions sur les fidèles ; le pasteur bénit le troupeau, le troupeau bénit le pasteur, et les fidèles, par des vœux mutuels, se bénissent les uns les autres. Il n’en est pas ainsi de la société des méchants : vous diriez que ce sont des bêtes sauvages, qui hurlent ou a qui rugissent dans les antres ou dans les forêts; ils se maudissent dans leurs querelles les uns les autres ; ils font des imprécations contre eux-mêmes dans leur impatience et dans leur désespoir; ils maudissent Satan qui les presse, et Satan les maudit de toute sa fureur, et les enchaîne enfin avec joie dans les enfers, qui sont un lieu de malédiction et d’horreur. Que la paix, que la charité qui règne dans l’Église est une chose bien aimable ! Qu’il est doux et de bénir et d’être béni ! Mais la bénédiction encore qui est donnée par la bouche ou par la plume d’un apôtre a quelque chose de plus doux ; comme ils sont établis dispensateurs des grâces de Dieu, il semble que leurs souhaits sont efficaces, et que les bénédictions qu’ils prononcent sont suivies de leur effet. O vous donc qui avez obtenu une foi de pareil prix avec les apôtres, recevez la bénédiction que vous donne aujourd’hui un grand apôtre, qui vous souhaite ce que le ciel a de plus précieux et ce que la terre a de plus agréable : Grâce et paix vous soit multipliée. » [1]

Ce style est à peu près nouveau dans la chaire protestante. Le Faucheur est éloquent, il est vrai; on trouve chez lui une abondance d’images ; mais il n’a pas la grâce, le coloris aimable et la poésie de Raymond Gâches. Celui-ci a quelquefois aussi de l’élan et de la hardiesse. Le passage suivant nous en fournit un exemple :

« De quelque côté que je porte ma pensée, je ne vois que des trésors et des trésors de lumière, que des couronnes, mais des couronnes de gloire, que des fleuves, mais des fleuves de délices : en un mot, que des biens, mais des biens éternels, mais des biens infinis, qui sont offerts à l’espérance du fidèle. Ouvre ta bouche y disait l’Éternel à son peuple, et je la remplirai. Mais qui avait jamais cru qu’on pût remplir la bouche de notre cœur et satisfaire à tous ses désirs ? Peu de chose apaise la faim de nos corps ; mais qui avait cru que la faim de notre âme pût être jamais apaisée? Ouvre néanmoins ton âme, fidèle ; conçois des souhaits dignes de celui qui a un Dieu pour père ; élève ton espérance; forme l’idée d’une grande félicité; joins les plus éminents honneurs à l’abondance des richesses, une santé pleine et riante à un contentement de l’esprit qui ne soit jamais interrompu ; donne des rayons à notre visage ; donne la connaissance de tous les secrets à nos esprits ; fais naître dans un beau séjour ou des lis ou des roses; fais que l’air y soit embaumé de l’odeur du musc et de l’ambre; présente mille beaux spectacles à tes yeux ; et, ayant uni toutes ces choses ensemble, si tu t’écries : Oh ! qui me donnera tous ces biens ? nous te répondrons, de la part de Dieu, que plus a grande est encore, et mille fois plus grande, la félicite qu’il te promet. Avare, voici des trésors qu’on ne te saurait ravir; ambitieux, voici des triomphes, voici des couronnes ; voluptueux, voici des plaisirs plus purs, mais plus doux, des délices plus innocentes [sic], mais plus durables. O hommes, voici la vie et la gloire, mais une vie éternelle et une gloire infinie. Oh combien sont grands les biens que tu as préparés à ceux que tu aimes ô Éternel ! Mon âme te désire en cette terre déserte. Puisque je souffre et que je pèche ici-bas, puisque je dois régner et t’obéir parfaitement dans le ciel, oh ! quand entrerai-je et me présenterai-je devant ta face? Mes frères, votre cœur ne brûle-t-il pas quand vous pensez à la grandeur et au prix de ces divines promesses ? Ce que le monde a de plus grand ne vous paraît-il pas a méprisable ? Ce que le monde a de plus précieux ne vous semble-t-il pas de nulle valeur ? et vos yeux, éblouis des lumières du paradis, que votre foi commence d’apercevoir, ne trouvent-ils pas triste et sombre ce que la terre a de plus beau ? » [2]

Gâches n’atteint pas toutefois les sommités de l’éloquence. Il y a eu lui le germe des plus grandes beautés, mais sans la force de le développer en plein; c’est le bouton d’une fleur qui, à peine ouvert, se referme.

Il a plus d’intuition que quelques autres et trouve, sans le labeur du raisonnement, par une sorte de rapide synthèse [3], de belles idées, de beaux traits, tels que celui-ci :

« Merveille de la bonté de Dieu ! Il nous prépare tous ses trésors, et nous donne même la main pour les recevoir, il nous donne toutes choses, et nous donne nous-mêmes à nous-mêmes. » [4]

Il a de l’éloquence, mais quelquefois la rhétorique parait. On sent chez lui, comme chez Charles Drelincourt, l’influence du père Senault, alors très en vogue. Comme lui, Gâches aime les citations et les allusions historiques, l’érudition ornée, Voyez, par exemple, dans le sermon sur le Triomphe de l’Évangile, les passages suivants :

« Le prince des médecins, le grand Hippocrate, dans le traité des aliments, nous enseigne que lorsqu’une personne abattue par la faim a besoin d’être promptement secourue, pour rappeler plus tôt ses forces, il faut lui donner des choses liquides, ou, pour agir avec un succès plus présent, il faut se servir des odeurs. Démocrite conserva trois jours sa vie par la seule odeur du pain chaud, et l’on croit qu’Aristote reçut un pareil secours de l’odeur des pommes. Pour remettre bientôt une âme, pour la nourrir et la fortifier dans la vie de la grâce, l’odeur de la connaissance de Dieu est le salutaire aliment qui lui peut donner des forces, qu’elle chercherait en vain dans les sciences humaines. Ce n’est pas tout encore ; car vous savez que les odeurs purifient l’air, et pour cette raison les Égyptiens se parfumaient au matin avec quelque espèce de résine, et au midi avec de 1a myrrhe. L’on emploie parmi nous les parfums de bonne ce odeur contre les ravages de la peste. Et l’odeur de la connaissance de Dieu n’écarte-t-elle pas le venin qui donnerait la mort à nos âmes, et ne nous pré- ce serve-t-elle pas de la contagion de l’erreur ? » [5] — « Sur toutes choses, que l’avarice ne tente jamais vos cœurs. Pour monter au ciel, Élie laissa ce toutes choses, jusques à sa manteline. Nous ne saurions voler vers le paradis avec ces ailes d’or dont parle un poëte grec, faisant de la matière la plus ce pesante ce qui doit être le plus léger. Cédrénus ce rapporte que cette belle perle dont un roi de Perse ce faisait son plus précieux trésor, avait un chien marin pour sa garde, si bien que celui qui entreprit de la pécher n’eut que le temps de mettre le bras hors de l’eau, pour la bailler à ses compagnons, et ce chien le dévora sur l’heure. Les richesses ont ce un démon à leur suite ; ceux qui se tuent pour les acquérir, à peine les possèdent-ils un moment, à peine ont-ils le loisir d’en disposer en faveur de leurs héritiers, et voilà ce démon les entraine dans les abîmes et se repait de leurs tourments. » [6]

Je ne trouve Raymond Gâches qu’ingénieux, sans effort et sans étalage, dans le passage suivant du même sermon :

« Je sais bien que les apôtres ont été les plus pures et les plus brillantes lumières de l’Église, que leurs noms ont été écrits sur les douze fondements de la Jérusalem céleste, et qu’ils doivent être assis sur douze trônes pour juger les douze lignées d’Israël. Ils ont été des flambeaux dignement élevés sur le chandelier du temple de Dieu, qui, répandant leur lumière de toutes parts, ont dissipé la nuit du paganisme et les brouillards des hérésies. Leur bouche était une source d’eau vive, une veine de la fontaine éternelle, et la terre a pris plaisir à s’enivrer de l’abondance de leurs eaux. Je sais bien que ceux qui vous annoncent l’Évangile ne sont pas apôtres, et je confesse que, lorsque vous détournerez vos regards de ces étoiles de la première grandeur, la lueur des moindres astres n’est que pure obscurité. Néanmoins les paroles de notre texte peuvent, sans qu’on leur fasse violence, être appliquées généralement à tous les ministres de la grâce, pource que, si les apôtres ont eu un emploi et des grâces extraordinaires, en quoi nous ne leur succédons pas, nous leur succédons pourtant par la miséricorde infinie du Père céleste, en l’œuvre du ministère et en la dispensation des secrets de Dieu. Si vos pasteurs n’ont pas reçu les mêmes dons, ils vous présentent néanmoins le même salut, et si ces vaisseaux ne sont pas d’une matière aussi précieuse, vous y trouvez néanmoins les mêmes trésors, qui peuvent enrichir vos âmes. Le Seigneur Jésus est toujours la matière de leurs prédications, la sainteté est toujours le chemin qu’ils vous apprennent, et le ciel est toujours le but auquel ils vous veulent amener. S’ils a ne guérissent pas miraculeusement les malades de même que les apôtres, néanmoins de même que les a apôtres ils convertissent les pécheurs; s’ils ne donnent pas la vue aux aveugles, ils éclairent l’intelligence des errants; s’ils ne ressuscitent pas les morts, ils relèvent les hommes du tombeau du vice, et s’ils ne chassent pas les démons des corps qui a en sont possédés, ils renversent le trône de Satan et élèvent celui du Seigneur Jésus dans la conscience dos hommes. Encore que Dieu répande souvent du sein des nuées ces eaux précieuses qui font la fertilité de nos champs, néanmoins il remplit ordinairement nos fontaines par des canaux secrets, que nous avons bien de la peine à découvrir. Mais, soit que les eaux tombent sensiblement des airs, soit qu’elles semblent naître de la terre, a elles découlent toutes également de la mer, elles sont toutes également conduites par la Providence divine. Nous pouvons dire la même chose des eau de la grâce. Elles ont été versées extraordinairement du ciel, d’une façon plus auguste et plus admirable, sur les apôtres, elles sont communiquées aujourd’hui aux ministres de Christ par des secrets canaux, avec moins d’éclat et avec moins d’abondance ; mais elles descendent toujours de la même source de grâce, et elles sont toujours adressées à l’édification des croyants. » [7]  

Le style de Raymond Gâchés est bien plus coulant, plus pur, plus agréable que celui de la plupart de ses contemporains; il ne donne ni beaucoup d’aliment ni beaucoup d’occupation à l’esprit ; mais il l’attire et l’entraîne doucement sur ses pas, d’autant plus que la marche de ses idées est simple, nette et facile. Aujourd’hui encore il se ferait lire avec plaisir.

 

[1] Premier sermon sur la deuxième épître de saint Pierre (pages 26 à 28 du recueil des quatre premiers sermons sur cette épître.

[2] Deuxième sermon sur la deuxième épître de saint Pierre (pages 67 à 69 du recueil des quatre premiers sermons sur cette épître.

[3] Entre savoir et connaître, il y a une grande différence. Connaître, c’est identifier avec soi-même ; il n’y a que l’âme qui puisse bien connaître.

[4] Premier sermon sur la deuxième épître de saint Pierre (pages 23 du recueil des quatre premiers sermons sur cette épître.

[5] Le triomphe de l’Évangile, Charenton, 1655, pp. 36-37

[6] Le triomphe de l’Évangile, Charenton, 1655, pp. 62-63

[7] Le triomphe de l’Évangile, Charenton, 1655, pp. 12-15

 

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