Recension

Nicholas Must

« Preaching the Place of Huguenots in France :

The Sermons of Jean Daillé and Huguenot Identity under the Edict of Nantes »

Journal of Early Modern Christianity, 2015, 2(2), 221-239

 

Malgré une production homilétique hors norme, Jean Daillé (1594-1670) n’a pas encore fait l’objet d’études d’envergure ; c’est donc avec un grand plaisir que j’ai découvert que l’historien Nicholas Must [1] a consacré un article à la prédication du pasteur de Charenton. Voici quelques notes de lecture, suivies d’une appréciation personnelle.

L’article

L’article de Must prend son point de départ dans une prédication donnée par Daillé lors de la mémorable journée de jeûne organisée par l’Eglise réformée de Paris le 21 août 1636, suite à la prise de Corbie (Somme) par les Espagnols. L’auteur se propose de démontrer que cette prédication, comme la plupart des prédications données par le pasteur de Charenton, cultive « l’identité hybride » des huguenots, qui combine leur particularisme religieux et leur dévotion politique envers le roi de France, en plaidant à la fois la soumission au monarque absolu et le droit à l’existence des réformés.

Jean Daillé est un sujet d’étude prometteur, car il est né peu avant l’Edit de Nantes et mort peu avant la période où la persécution des huguenots en France s’est intensifiée. Pasteur à Charenton pendant plus de quarante ans, il faisait partie de l’élite protestante, fréquentait bon nombre des intellectuels de la place de Paris et correspondait avec l’internationale calviniste hors de France. Must estime que les prédications de Daillé constituent une fenêtre dans la vie d’un pasteur exceptionnel, mais aussi dans la mentalité du peuple huguenot à qui il s’adressait. L’influence de sa prédication dépassait la seule chaire, car les sermons étaient imprimés et atteignaient ainsi un public plus large (parfois même catholique) et le façonnaient, ne serait-ce que par la récurrence des thèmes traités.

Les huguenots se comprenaient comme la « véritable Eglise » et en opposition à la papauté, et cette perspective trouve aussi son expression dans la prédication de Daillé. Il aborde les dogmes catholiques de manière extensive et les assimile à la « noire et pernicieuse » doctrine du diable (sermon sur 1 Ti 4.1-3). En parlant ainsi de l’Eglise romaine, Jean Daillé s’inscrit dans une longue tradition protestante ; par la répétition fréquente de ces thèmes, le pasteur de Charenton insiste sur cette opposition comme essentielle à la définition de l’identité huguenote. La communauté réformée tire sa compréhension d’elle-même des Ecritures, à la fois du peuple d’Israël et des premiers chrétiens. Daillé estime que la persécution qui frappe les protestants les authentifie comme véritables chrétiens ; il attache également de l’importance à leur petit nombre, signe de l’élection du « petit troupeau ».

Il n’empêche, la loyauté huguenote envers le roi est totale. Etant donnée leur position vulnérable en France et leur dépendance du bon vouloir du roi, les réformés cherchent à faire savoir que leur dévouement à la monarchie est sans faille. La prédication de Daillé exprime également très clairement cette loyauté. Le pasteur établit un lien entre la piété huguenote et l’attachement au roi, en donnant une dimension civique à la piété. Il enseigne que l’acceptation passive de l’autorité royale n’est pas suffisante ; les chrétiens doivent aimer le roi, lui rendre grâce et prier pour lui, tout en contribuant à la prospérité du royaume. Daillé va jusqu’à dire que les réformés sont les sujets français les meilleurs, parce qu’ils sont libres de toute loyauté envers Rome. Bien entendu, lorsqu’il aborde la légitimité de la foi huguenote en France, Daillé s’appuie sur l’Edit de Nantes, qu’il présente comme perpétuel et irrévocable.

Nicholas Must revient finalement au jour de jeûne d’août 1636, par lequel la communauté protestante de Paris exprime son soutien à l’armée du roi. Il insiste sur le fait que Daillé et ses collègues ne faisaient pas seulement preuve de pragmatisme politique : en manifestant leur loyauté, ils expriment leur volonté, qu’ils partagent avec les catholiques, de voir l’ordre triompher sur l’anarchie, mais ils marchent également dans les pas de Calvin qui lui aussi exigeait l’obéissance aux leaders politiques, fussent-ils des tyrans.

 

Quelques remarques personnelles

En tombant sur l’article de Nicholas Must, nous étions ravis de voir que les spécialistes de l’histoire s’intéressent à Jean Daillé et plus particulièrement à ses sermons. En effet, c’est curieux de voir qu’aucun travail d’envergure ne s’est fait sur cette œuvre jusqu’à ce jour : mis à part la thèse de 32 pages qu’Emile Mettey a consacré à Daillé en 1863, il n’y a quasiment rien. L’article dont nous avons rendu compte est un premier pas dans la bonne direction, mais, il faut l’avouer, c’est un assez petit pas.

Nicholas Must s’est familiarisé avec Daillé ; il a lu et il maîtrise l’essentiel de la littérature secondaire consacrée à la prédication réformée du XVIIe siècle. Ses notes permettent de glaner bon nombre de titres intéressants et nous ont ouvert des pistes intéressantes. Son article résume bien la situation générale, et notamment le déchirement huguenot entre particularisme religieux et loyauté absolue à un roi de plus en plus hostile à la foi réformée.

Bien entendu, ce serait trop demander à un article d’une vingtaine de pages de bouleverser notre compréhension de la situation. Mais on aurait aimé avoir quelques nouvelles pistes, quelques découvertes, bref : quelque chose de nouveau. Or l’article de Must ne nous offre pas grand chose de nouveau. Il esquisse bien la situation, et il cite quelques passages des sermons de Daillé pour les illustrer, mais on en reste là. Nous ne doutons pas de ce que Must a lu un certain nombre des sermons de Daillé, mais ce travail ne transparaît pas à la lecture de notre article : celui-ci aurait pu être écrit par un connaisseur de l’Eglise de Charenton au XVIIe siècle qui aurait survolé quelques sermons de Daillé pour saupoudrer son exposé d’une poignée de citations. On aurait bien aimé apprendre quelque chose sur ce qui caractérise Daillé par rapport à ses collègues ou sur ce en quoi il a renouvelé l’homilétique huguenote, mais notre article n’a rien à dire sur ces sujets. On aurait probablement pu écrire le même article en remplaçant Daillé par Mestrezat ou Du Bosc et en remplaçant les citations par des passages analogues de leurs sermons.

On aurait été plus indulgent avec l’auteur s’il avait bien raconté l’histoire, comme souvent des universitaires anglo-saxons savent si bien le faire. Or, si l’entrée en matière est bien menée, l’article se perd rapidement dans le brouillard et finit par tourner en rond, de sorte que la structure d’ensemble est peu claire et laisse l’impression d’un travail fait sans trop d’application ou inspiration. Un comble pour un article sur la prédication, art où la forme revêt une importance certaine.

A cela s’ajoutent quelques inexactitudes (selon Must « plus de 700 sermons » de Daillé auraient été publiés [2] ; or, Daillé a certes donné 724 sermons, mais on n’en a publié qu’environ 450) et imprécisions dans les citations. A titre d’exemple, la phrase de Daillé :

« En effet, il est évident [que Paul] parle de certaines gens qui, pour acquérir la réputation d’une sainteté non commune et pour autoriser par ce moyen leurs fausses et dangereuses doctrines, introduiraient des disciplines contraires à la liberté que le Seigneur a donnée à tous les siens pour l’usage soit du mariage soit des viandes. »

dans un sermon sur 1 Ti 4.3-5 se trouve résumée comme une invitation à épouser sa critique des « fausses et dangereuses doctrines qui ont introduit des disciplines contraires à la liberté que le Seigneur a donné à tous pour l’usage du mariage » [3]. Or Daillé semble évoquer des gens qui introduisent certaines pratiques pour se faire bien voir et pour pouvoir ainsi promouvoir leur fausses doctrines, ce qui n’est pas tout à fait la même chose que des doctrines qui conduisent à des pratiques douteuses. Bref, tout cela donne l’impression d’un travail un peu bâclé.

Ce travail nous a donc un peu déçu ; selon nous, Jean Daillé aurait mérité un traitement un peu plus attentionné. Mais tout espoir n’est pas perdu. Nous venons de recevoir un exemplaire du livre que Nicholas Must a publié fin 2017. Son ouvrage Preaching a Dual Identity. Huguenot Sermons and the Shaping of Confessional Identity, 1629-1685, qui reprend sa thèse de doctorat, promet de constituer un traitement un peu plus approfondi et, espérons-le, un peu plus soigné. Nous vous en donnerons des nouvelles en temps voulu.

 

 

[1] Professeur au département d’études médiévales de l’université Wilfrid Laurier à Waterloo (Ontario, Canada).

[2] p. 222

[3] … a critique … of the “false and dangerous doctrines that have introduced disciplines contrary to the liberty that the Lord gave to all people for the usage of marriage.” (p. 229)

 

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