Jacques Saurin

(1677-1730)

Abrégé de la théologie et de la morale chrétienne (1722)

 

Première partie

Où l’on traite des vérités que la religion naturelle nous découvre

 

Section XIV

Où l’on éclaircit quelques objections contre le dogme de la providence

 

Demande du catéchiste : Est-ce une chose digne de Dieu qui forme de si grands desseins, et qui les exécute, d’entrer dans tous les détails touchant le monde en général, et touchant la conduite et la destinée des hommes en particulier ?

Réponse du catéchumène : Si l’intelligence de Dieu était bornée comme celles des hommes, ces détails seraient indignes de lui, mais l’intelligence divine est infinie ; l’attention qu’elle donne aux petites choses ne l’empêche pas de fournir aux grandes.

D.     Comment concevez-vous qu’un Dieu saint et puissant prenne garde à ce qui se passe dans le monde, tandis que vous voyez tant de méchants dans la prospérité, et tant de gens de bien dans la misère ?

R.      J’avoue que cette difficulté serait sans réplique, si nous n’attendions aucun période [1] dans lequel les méchants seront punis à proportion de la prospérité dont ils auront joui pendant qu’ils persistaient dans le crime, et les gens de bien récompensés à proportion des misères auxquelles ils auront été exposés lorsqu’ils s’attachaient à la vertu ; mais nous attendons ce période [1], et nous avons prouvé que nous étions fondés dans cette attente.

D.     Mais ne vous semble-t-il pas que le bonheur de Dieu serait troublé s’il prenait garde à ce que font des hommes qui violent si souvent les lois qu’il leur a prescrites ?

R.      Dieu désapprouve ceux qui violent ses lois, il approuve ceux qui les suivent, mais sa félicité n’est ni diminuée par la désobéissance des premiers, ni augmentée par l’obéissance des seconds. Dieu est heureux en ce qu’il est maître de la destinée des uns et des autres, et qu’il la règle selon qu’ils lui ont été soumis ou rebelles.

D.     Reconnaissez du moins que vous ne sauriez accorder le dogme de la providence avec l’entrée du péché dans le monde. Un esprit infiniment saint, tel que vous vous représentez la divinité, et infiniment puissant, qui aurait toujours pris garde à ce qui se passe dans cet univers, aurait-il permis qu’on y péchât ? N’aurait-il pas fait en sorte que tous les êtres raisonnables suivissent les lumières de la raison et fussent toujours soumis aux lois de leur Créateur ?

R.      Je ne doute pas que je ne répondisse parfaitement à cette difficulté, si je connaissais tous les desseins qui ont porté la divinité à permettre que le péché entrât dans le monde. En attendant qu’il daigne me mes relever, le profond respect que j’ai pour lui me convaincra que cette permission n’a rien de contraire à ses attributs, et la difficulté que vous m’avez faite ne m’empêchera pas de croire le dogme d’une providence que tant de solides raisons ont établi.


On chantera après cette Section les trois derniers versets du Psaume 73.

 

Fin de la première partie



[1] temps

 

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