Jacques Saurin

(1677-1730)

Abrégé de la théologie et de la morale chrétienne (1722)

 

Section générale, qui sert d’introduction à cet ouvrage

 

Demande du catéchiste [1] : Quelle est l’étude la plus importante à laquelle puisse s’attacher une créature raisonnable ?

Réponse du catéchumène : C’est celle qui regarde l’Auteur de notre être, le culte [2] qui doit lui être rendu, les moyens d’avoir part à sa bienveillance.

D.     Devons-nous régler nos idées [3] à l’égard de ces articles, sur ce que nous disent nos pères, nos maîtres, nos supérieurs, ou si nous devons nous régler sur ce qui nous paraît le plus raisonnable, lorsque nous avons fait toutes les recherches dont nous sommes capables ?

R.      Nous devons nous régler sur ce qui nous paraît le plus raisonnable, quand nous avons fait toutes ces recherches, et non sur ce que nous disent nos pères, nos maîtres, ou nos supérieurs.

D.    Comment cela ?

R.      C’est que s’il fallait se régler sur l’autorité des personnes que nous respectons, toutes les opinions les plus bizarres, les plus injurieuses à Dieu, les plus dangereuses pour l’homme seraient autorisées.

D.    Expliquez plus clairement votre pensée.

R.      Il n’y a point de religion [4] si extravagante, en faveur de laquelle ceux qui la suivent ne puissent alléguer [5] l’autorité des personnes qu’ils respectent : un Juif a entendu dire à son père, à son maître, à ses supérieurs, que le Judaïsme [6] est a religion la plus raisonnable ; un mahométan a ouï [7] dire à son père, à son maître, à son supérieur que c’était le Mahométisme [8], et ainsi des autres religions. S’il faut régler ses idées sur ce qu’on a ouï dire à son père, à ses maîtres, à ses supérieurs, le Juif a autant de raison d’être Juif que moi d’être chrétien, le Mahométan d’être mahométan, et ainsi des autres.

D.    Mais ne devez-vous donc avoir aucune déférence [9] pour ce que vous disent sur la religion les personnes de qui vous tenez la vie, et tous ceux qui ont de plus grandes lumières que vous ?

R.      Sans doute.

D.    En quoi consiste cette déférence ?

R.      A écouter leurs raisons, à examiner avec soi si ce qu’ils proposent est bien fondé, et à leur témoigner de la reconnaissance pour les soins qu’ils prennent de mon éducation.

D.    Mais une personne comme vous, qui a si peu de connaissance, est-elle capable de bien discerner si les choses que lui disent ceux qui en savent plus qu’elle sont fondées, ou si elles sont sans fondement ?

R.      Non.

D.    Comment pouvez-vous donc avancer que vous devez avoir un discernement dont vous vous sentez incapable ? N’est-ce pas là vous contredire vous-même ?

R.     Parmi les choses que m’enseignent les personnes à qui je dois de la déférence, il y en a qui sont au-dessus de ma portée ; il y en a aussi qui sont à ma portée. A l’égard des choses qui sont à ma portée, je me crois obligé de les examiner et de régler mes pensées sur ce qui paraîtra le plus raisonnable ; à l’égard des choses qui sont au-dessus de ma portée, je suspendrai mon jugement [10] jusqu’à ce que ma raison se développe et que je me trouve en état d’examiner si elles sont bien fondées ou si elles ne le sont pas.

D.    Comment vous conduirez-vous donc si vous entendiez dire pour la première fois de votre vie qu’il y a un Dieu en trois personnes, à savoir le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et que Dieu a décidé lui-même cette vérité dans un livre qui est entre les mains de tous les chrétiens ?

R.      Je demanderais qu’on me prouvât, premièrement, qu’il y a un Dieu ; en second lieu, que Dieu est véritable ; (3) que ce livre qui est entre les mains de tous les chrétiens vient de Dieu. Enfin, je voudrais qu’après m’avoir prouvé que ce livre vient de Dieu, on me fit voir que cette vérité y est contenue : Il y a un Dieu en trois personnes, à savoir le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

D.    Vous rejetez donc diverses choses que Dieu a décidées lui-même ? Car si dans ce livre, qui vient de Dieu, et qu’on vous prouve venir de Dieu, il y a des choses à l’égard desquelles vous n’avez pas encore assez de lumière pour connaître s’il les a décidées, vous refuserez de les croire. Par conséquent, vous rejetterez les choses que Dieu a décidées. N’est-ce pas là manquer de respect pour Dieu ?

R.      Point du tout.

D.    Expliquez-vous.

R.      Ce n’est pas faute de respect pour Dieu que je m’abstiendrai de croire certaines choses qu’il a décidées ; c’est uniquement parce que je ne sais pas encore s’il les a décidées en effet, et parce que j’ai l’esprit trop borné, et les lumières trop courtes pour entendre ce qu’il a prononcé sur ces matières. Si vous refusiez de croire ces choses, vous qui avez la capacité de connaître qu’elles viennent de Dieu, vous manqueriez au respect que vous lui devez ; mais moi, je lui témoigne mon respect en ne les croyant pas encore.

D.    Comment pouvez-vous témoigner votre respect à Dieu en refusant de croire ce qu’il atteste ?

R.      Le respect que je dois à Dieu ne veut pas que je m’expose de recevoir une doctrine qui ne vient pas de lui, comme si elle était venue de lui, et je m’exposerais nécessairement à ce danger si je recevais des choses comme venant de lui lorsque je ne suis pas encore capable de connaître si elles en viennent.

D.    Demeurerez-vous donc dans une incrédulité éternelle et dans un doute continuel à l’égard de certaines vérités que je vous soutiens être contenues dans un livre qui est l’ouvrage de Dieu ? Refuserez-vous toujours de les croire, sous prétexte que vous n’avez pas la faculté (11) de les examiner ?

R.      Point du tout. A mesure que j’avancerai en âge, j’avancerai en connaissance, et je serai plus capable de cet examen qui est encore aujourd’hui au-dessus de mes forces. Ma foi pour ces vérités augmentera avec ma raison. Je destine ma vie à les étudier, et je vous demande votre secours et votre direction [12] pour me conduire dans cette étude.

 

Le catéchiste


Vos dispositions sont très raisonnables. Je vais vous conduire par la voix de la connaissance et de la lumière. Je vous exhorte, non à me croire sur ma parole, mais à avoir une profonde attention pour les preuves sur lesquelles j’ai dessein de vous faire établir votre religion. Je vais vous examiner sur trois articles : (I) Sur les vérités que la raison humaine peut vous découvrir à l’égard de Dieu et des relations que les créatures ont avec leur Créateur. C’est ce qu’on appelle la religion naturelle. (II) Je vous demanderai un précis [13] de ce que l’Ecriture sainte vous enseigne sur ce sujet ; j’exigerai que vous me marquiez quel rapport il y a entre la raison et l’Ecriture, et quels sont les avantages de l’Ecriture sur la raison. C’est ce qu’on appelle la religion révélée. Enfin, je veux que vous exposiez les motifs qui vous inspirent le respect que vous avez pour le livre sacré dont vous m’aurez tracé le plan [14] et sur quoi vous vous fondez lorsque vous vous soumettez à ses décisions comme à des oracles [15] sortis de la bouche de Dieu même.

 

Prière du catéchiste

Grand Dieu, qui vous faits quelque fois trouver à ceux qui ne vous cherchent point, mais qui vous révélez toujours à ceux qui vous cherchent, bénissez les soins que nous prenons pour vous faire connaître à ces enfants. Les préjugés [16] forment des voiles qui cachent la vérité à la plupart des hommes. L’autorité humaine a pris trop souvent sur les esprits la place de votre autorité. Les maîtres ont décidé avec témérité. Les peuples ont cru avec simplicité et avec superstition. De là, tant d’erreurs grossières ; de là, tant de religions extravagantes ; de là, tant de cultes indignes de votre majesté. Voici des esprits vides encore de ces préjugés. Voici de jeunes plantes qui croîtront dans votre Eglise et qui apporteront un jour des fruits de connaissance et de vertu, si vous daignez bénir les soins que nous prenons de les cultiver. Accordez-nous cette bénédiction, Seigneur. Pardonnez l’ignorance de ceux qui sont déjà avancés en âge et hors d’état d’épurer entièrement leurs idées, et donnez-nous de voir une génération mieux instruite et mieux dirigée.   Amen.

 

[1] Catéchiste, c’est celui qui instruit, catéchumène celui à qui l’instruction est faite.

[2] Culte, c’est en général tout ce que font les hommes à l’honneur de Dieu, mais particulièrement la manière dont on l’honore dans le Temple.

[3] Pensée, opinion. En général, la représentation que notre esprit se fait d’une chose, c’est ce qu’on appelle l’idée de cette chose-là.

[4] On appelle religion les idées que les hommes se forment de la divinité, et le service qu’ils lui rendent.

[5] citer

[6] La religion des Juifs.

[7] entendu

[8] La religion de Mahomet.

[9] Respect, soumission, égard.

[10] Suspendre son jugement, c’est ne prendre aucun parti sur une opinion, c’est ni ne la recevoir comme véritable, ni ne la rejeter comme fausse.

[11] Le pouvoir.

[12] Instruction.

[13] Un abrégé de ce qu’il y a d’essentiel dans un sujet.

[14] Le plan d’un livre, c’est le dessin qu’il se propose et la manière dont il l’exécute.

[15] Les vérités que prononce un être qui ne peut pas se tromper, les ordres que donne un supérieur auquel on doit une entière obéissance, s’appellent des oracles.

[16] On appelle préjugés les opinions qu’on a prises légèrement et avant d’avoir bien examiné si elles sont vraies ou fausses.

 

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