Jean Daillé [1] naît le 6 janvier 1594 à Châtellerault (Vienne). Il est le fils aîné de François Daillé, receveur des consignations à Poitiers, et de Jeanne Berthon. Son père le destine aux affaires, mais le sort en décide autrement. Jean a dix ans quand il perd ses deux parents ; les enfants sont alors confiés à l’un de leurs oncles maternels.
En 1605, on envoie Jean à Saint-Maixent (Deux-Sèvres) pour y commencer sa formation (latin). Il poursuit ses études à Poitiers (humanités), à Châtellerault et à Saumur (rhétorique), puis il entre en logique à Poitiers en 1610. Il achève ses classes de physique et de philosophie à Saumur. Il retourne un temps à Poitiers, puis, au début de l’année 1612, il revient à Saumur pour commencer des études de théologie.
Au mois d’octobre de la même année, Philippe Duplessis-Mornay (1549-1623), le gouverneur de Saumur, lui confie l’éducation de deux de ses petits-fils, Philippe-Samson de Saint-Germain (1603-1620) [2] et Philippe de Nouhes [3]. Une amitié forte se développe entre l’homme d’état et le jeune étudiant en théologie. C’est ainsi qu’on sollicite Daillé pour accompagner les deux jeunes gens lors d’un grand voyage à travers l’Italie, la Suisse, l’Allemagne et les Pays-Bas. Ils partent en octobre 1619 et se rendent à Genève, au Piémont et en Lombardie, puis à Venise, où ils passent l’hiver : Philippe-Samson de Saint-Germain tombe malade à Mantoue ; il est transporté à Padoue [4] et y meurt le 31 mai 1620. Daillé doit franchir de grands obstacles [5] pour faire rapatrier le corps du jeune homme ; on finit par le renvoyer clandestinement, « sous l’escorte de deux … domestiques, comme un ballot de livres ou de marchandises » [6].
Fra Paolo Sarpi (1552-1623) cherche à retenir Daillé à Venise, mais il n’y parvient pas. Daillé poursuit son voyage et gagne la Suisse, l’Allemagne et les Pays-Bas. En 1621, Daillé et son protégé atteignent l’Angleterre, puis ils retournent au Poitou, où ils retrouvent Philippe Duplessis-Mornay au château de La Forêt-sur-Sèvre [7].
En 1623, Daillé passe l’examen et est consacré au saint ministère. M. Duplessis-Mornay obtient qu’il soit nommé son aumônier personnel. Le 13 novembre de la même année, Duplessis-Mornay meurt. Daillé rédige les « Dernières heures » et gère les lettres et instructions laissés par l’homme d’état. C’est encore lui qui s’occupe de la publication de deux tomes des Mémoires de son bienfaiteur.
Au mois de mai 1625, Daillé se marie avec Suzanne Arribat (ou Arrabat) (?-1632). Vers le milieu de l’année, il est nommé pasteur à Saumur. Lors d’un voyage à Paris, où il plaide sa cause devant le Conseil du roi [8], Daillé prêche et baptise à Charenton, où il fait bonne impression. Après la mort du pasteur Samuel Durant en 1626, c’est à lui que l’Eglise de Paris fait appel pour remplacer le défunt.
L’installation de Daillé à Paris se complique, car le Consistoire n’a pas suivi exactement les règles de la Discipline des Eglises réformées. Par conséquent, le Synode d’Ile-de-France, réuni à Houdan en août 1626, censure le Consistoire. Celui-ci forme un recours devant le Synode national. Le pasteur Jean Mestrezat (1592-1657) y intervient pour obtenir l’autorisation pour Daillé de venir à Paris, et son collège Charles Drelincourt (1595-1657) adresse une lettre au Synode. Le Synode finit par révoquer la censure et lève les obstacles empêchant l’installation de Daillé à Paris. Le jeune pasteur fait venir sa femme à Paris en septembre 1626. Le couple se loge d’abord au faubourg Saint-Germain.
Dès novembre 1626, Daillé est impliqué dans une « conférence » avec l’ancien Jésuite François Véron (1575-1649), curé de Charenton [9].
En 1628, Daillé rédige son Traité de l’emploi des saints Pères, consacré à l’enseignement des Pères apostoliques et leur utilité (limité) pour trancher des débats.Le 31 octobre de la même année naît l’unique enfant du couple, Adrien (aussi appelé Jean ; 1628-1690), à l’ambassade de Hollande, où sa mère s’est réfugiée suite à la prise de La Rochelle par les armées royales (le 28 octobre) [10].
En juin 1630, la famille pastorale déménage au cœur de la ville de Paris : on s’installe rue de Montmartre, où Daillé vivra jusqu’à sa mort.
Le 31 mai 1631, Daillé perd sa femme qui succombe à une maladie infectieuse [11]. Il ne se remariera jamais [12].
Les années suivantes sont fécondes en publications : Daillé publié une Apologie des Eglises réformées (1631) qui entraîne son lot de publications polémiques [13], puis La foi fondée sur les saintes Ecritures contre les nouveaux Méthodistes (1634) et le traité De la créance des Pères sur le fait des images (publié seulement en 1641).
En 1637, Daillé participe au Synode national d’Alençon comme député de sa province.
En automne 1639, il effectue un voyage qui le conduit, entre autres, à Châtellerault, ce qui lui donne l’occasion de présenter son fils à ses parents.
En 1644, il rédige son traité De pœnis et satisfactionibus humanis (« Des peines et des satisfactions des hommes ») et dès l’année 1645, il se penche sur la question Des jeûnes et du carême (traité imprimé en 1654) et sur d’autres pratiques de l’Eglise catholique comme confession auriculaire et certains sacrements.
En 1650, Daillé tombe gravement malade, au point qu’on craint pour sa vie [14], mais l’intervention perspicace d’un ami médecin le sauve [15].
En avril 1653, Daillé accompagne son fils à La Rochelle, car Adrien a reçu un appel pour devenir le quatrième pasteur de l’Eglise [16]. Ce voyage les mène en Touraine, en Anjou et Poitou. Jean prêche dans les Eglises de Châtellerault, de Saumur et de La Forêt, ainsi que plusieurs fois à La Rochelle et à La Rochefoucault, où il présente son fils au Synode. Le 6 juillet 1653, c’est lui-même qui impose les mains à son fils lors du culte d’introduction. Il revient à Paris au mois d’août.
En 1654, son Apologie pour les Synodes d’Alençon et de Charenton , rédigée sept années plus tôt, est publiée à son insu. Cet écrit sur la grâce universelle déclenche toute une polémique avec Samuel Desmarets (1599-1673), professeur de théologie à Groningen (Pays-Bas).
Dès 1656, l’Eglise de Charenton envisage de recruter Alexandre Morus ; dans un premier temps [17], Jean Daillé soutient ce projet vivement.
En 1657, l’Eglise de Paris perd coup sur coup deux de ses pasteurs, à savoir Michel Le Faucheur (1585-1657), qui est remplacé par Morus, et Jean Mestrezat (1592-1657). Ce dernier est remplacé par Adrien Daillé, qui arrive à Paris le 18 juillet 1658 et entre en fonction le dimanche suivant [18].
Jean Daillé préside, en tant que modérateur, au Synode national de Loudun (Vienne) qui se tient du 10 novembre 1659 au 10 janvier 1660. Le Synode ayant ordonné un jeûne pour le 25 mars, le pasteur de La Rochelle Samuel Cottiby (1630-1689) choisit ce jour-là pour annoncer son retrait du ministère et sa conversion au catholicisme, et pour critiquer le jeûne. Daillé réagit à cette démarche en écrivant une Lettre à Monsieur Le Coq, Sieur de la Talonnière, sur le changement du Sieur Cottiby. Cette lettre lui vaut des répliques de la part du ministre converti et du Jésuite Jean Adam (1608-1684) [19]. Daillé répond par sa Réplique aux deux livres de Messieurs Adam et Cottiby (1662). Ce livre est confisqué à La Rochelle et le libraire l’ayant vendu est condamné à une amende.
Par la suite, Daillé travaille de nouveau sur les écrits des Pères de l’Eglise et sur les pseudépigraphes des premiers siècles ; ainsi, il publie le traité Adversus latinorum traditionem de religiosi cultus objecto disputatio en 1664 et le traité De scriptis quæ sub Dionisii Areopagitæ, et Sancti Ignatii Antiocheni nominibus circumferuntur en 1666.
En novembre 1669, son collègue Charles Drelincourt meurt. Lorsque Alexandre Morus tombe malade, toute la charge de l’Eglise de Charenton tombe sur Daillé, alors âgé de 75 ans, et son collègue Jean Claude (1619-1687) [20].
Daillé lui-même meurt peu après, le 15 avril 1670, à l’âge de 76 ans, seulement trois jours après être tombé malade. C’est Alexandre Morus qui prêche lors de l’enterrement. Daillé est enterré à Charenton, aux côtés de son épouse.
Outre un grand nombre d’écrits de controverse en langue française et latine, Daillé laisse un nombre impressionnant de sermons : son fils a dit, à juste titre, que « pour des sermons, il y a peu de personnes de sa robe qui en ait tant fait imprimer que lui » [21].
Son seul fils, Adrien, quitte la France à la révocation de l’Edit de Nantes et se retire à Zurich [22], où il meurt en 1690. Sa fille Anne, née de son mariage avec Anne Falaiseau [23] (1644-?) accompagne son père en exil [24].
Sources principales
Annotations
[1] Ioannes Dallaeus en latin
[2] Fils d’Elisabeth de Mornay (1578- ?) et de Jacques de Saint-Germain, seigneur de Fontenay-Le-Husson.
[3] C’est le fils aîné d’Anne de Mornay (1583-1646) et de Jacques des Nouhes, baron de Sainte-Hermine (Poitou) et de La Lande, seigneur de La Tabatière.
[4] Abrégé, p. 9 : « … Padouë, où la liberté est plus grande pour ceux de notre Communion … »
[5] La France protestante, p. 180 : « … ce ne fut pas sans beaucoup de peine qu’il parvint à soustraire le cadavre aux outrages de l’Inquisition … »
[6] Abrégé, p. 10
[7] Abrégé, p. 10 : « Nous avons souvent ouï regretter à celui dont nous écrivons l’histoire, ces deux années qu’il comptait presque pour perdues, parce qu’il les eût pu passer plus utilement dans le cabinet [de M. Duplessis-Mornay], et le seul fruit qu’il disait en avoir tiré était la connaissance et la fréquentation [de Paolo Sarpi]. » Le retour de Daillé coïncide avec la destruction du Temple de Charenton lors d’un incendie.
[8] Abrégé, p. 14 : « A peine commençait-il à s’y établir [à Saumur], qu’il fut troublé dans l’exercice de son ministère par des gens qui le chicanèrent mal à propos, et pour se tirer d’affaire, il fallut qu’il vint au Conseil du roi, d’où il fut renvoyé avec permission d’exercer son ministère en pleine liberté. »
[9] Voir Emile Kappler, Les conférences théologiques entre catholiques et protestants en France au XVIIe siècle, conférence n° 112, p. 682ss.
[10] On craignait que la nouvelle de la prise de La Rochelle ne provoque une émeute à Paris. Ironie du sort : le nouveau-né deviendra pasteur de l’Eglise réformée de La Rochelle plus tard.
[11] Elle est enterrée à Charenton le 1er juin 1631, à l’issue du catéchisme.
[12] Il semble y avoir eu des rumeurs de galanteries illicites. Dreux du Radier, p. 442, écrit à ce sujet : « Cette dispute [autour de l’Apologie de 1654] littéraire ne laissa pas de faire tort à M. Daillé par la découverte que fit le public pendant qu’elle dura , de quelques aventures qui n’étaient rien moins qu’honorables pour notre savant. On reprochait à Daillé jusqu’à des galanteries qui dégradaient un peu le ministre, et le théologien. Ceux qui voudront s’instruire de ces malignes anecdotes consulteront la préface de la Défense de l’Apologie, où Daillé répond aux injures que du Moulin, professeur d’histoire en Angleterre, avait insérées dans une digression déplacée, qu’il avait fait servir d’avant-propos à son gros traité du Ministère Ecclésiastique, et ce même Avant-Propos. »
[13] L’Assemblée du clergé de France va jusqu’à la dénoncer au roi comme séditieuse.
[14] Abrégé, p. 32 : « … il fut travaillé d’une maladie très dangereuse qui le tint dix ou douze jours dans un assoupissement léthargique, dont apparemment il ne devait pas relever. »
[15] Abrégé, p. 32s : « Mais Dieu … se servit de l’affection et de l’industrie de Monsieur du Val, son médecin et son ami très particulier, qui trouva moyen de couler adroitement de la poudre émétique [vomitive] dans un grand verre de tisane qui lui avait été ordonné par le résultat d’une longue consultation. Ce remède lui semblait trop faible pour sauver son malade qu’il jugeait à l’extrémité, de sorte que n’y ayant plus rien à ménager, il crut qu’il pouvait hasarder quelque chose. La poudre, par la bénédiction du ciel, fit son effet sur l’heure et dégagea les forces et les sens du malade qui ensuite guérit peu à peu et recouvra avec le temps sa première santé. »
[16] Laurent Drelincourt (1625-1680), fils de Charles Drelincourt (1595-1669), un collègue de Jean Daillé, est alors l’un des pasteurs de La Rochelle.
[17] Les deux hommes se brouillent vers 1661.
[18] S’il était resté à La Rochelle, il aurait sans doute, comme Laurent Drelincourt, dû quitter la ville suite à l’ordonnance de 1661, venue réactiver une Déclaration royale de 1628 interdisant l’installation dans la ville à tout protestant qui n’y était pas domicilié avant 1625.
[19] Abrégé, p. 41 : « … de qui quelqu’un de sa Communion a dit qu’il est le premier homme du monde que de nom seulement. »
[20] Son fils Adrien est alors souffrant, car, à la suite d’un accident, il a eu un pied presque entièrement consumé par le feu.
[21] Abrégé, p. 49. Nous avons rassemblé 24 sermonnaires, dont cinq ont été publiés après sa mort. Au total, nous avons pu trouver 424 sermons imprimés. Daillé lui-même a tenu une liste de ses sermons depuis 1627 ; on y trouve 724 sermons au total (Abrégé, p. 50).
[22] Ce choix n’est pas fortuit, comme l’explique Tulot, Correspondance de Jean Daillé fils, p. 2 : « Plutôt que Genève, où il lui aurait fallu souscrire au Consensus Helveticus imposé aux ministres venus de France, soupçonnés par ce fait de sympathies universalistes, obligation que nous savons, par sa lettre du 15 mars 1672 à Louis Tronchin, qu’il rejetait, après une escale à Lausanne, il chercha un asile à Zurich où n’était demandé aux pasteurs français que la promesse du silence au sujet de la grâce universelle. »
[23] Choisie, paraît-il, par Jean Daillé père.
[24] Tulot, op.cit., p.2, rapporte une triste chronique familiale : « … son premier enfant, une fille, […] fut baptisée le 9 août 1665 au temple de Charenton et prénommée Anne. […] Quatre autres enfants suivront : Jean, baptisé le 25 décembre 1666, Joseph I dont la date de baptême est inconnue, Joseph II baptisé le 8 décembre 1672 et Anne-Suzanne, baptisée le 14 juin 1676. [… S]a fille aînée Anne mourut en 1671, ses fils Joseph I et Joseph II en 1672 et 1673. Le 12 janvier 1677, Jean, son fils aîné, mourut à Saumur où il l’avait emmené commencer ses études. […]. Il ne lui restait alors qu’une petite fille au berceau, Anne-Suzanne, qu’il avouait ne compter « presque pour rien », ajoutant qu’il « est malaisé de se faire une habitude de cette sorte de choses » et qu’il s’y « trouve tout aussy neuf la dernière fois que la première ».