Michel Le Faucheur

(1585-1657)

Sermon sur l’échelle de Jacob

Le texte (orthographe modernisé, annotations explicatives)

Le texte clé

Gn 18.12s : Alors il songea, et voici une échelle posée sur la terre, et le bout d’icelle touchait jusqu’aux cieux, et voici les anges de Dieu montaient et descendaient par icelle. Et voici, l’Eternel se tenait sur icelle et dit : Je suis l’Eternel, le Dieu d’Abraham ton père, et le Dieu d’Isaac, je donnerai la terre sur laquelle tu dors à toi et à ta postérité.

Contenu

Cette prédication part du constat de l’échec de l’homme déchu, qui se retrouve sur la terre maudite par Dieu, l’accès à Dieu lui étant désormais interdit. Heureusement, la miséricorde de Dieu a trouvé un remède, par l’incarnation du Fils qui constitue en quelque sorte une échelle entre ciel et terre, et c’est justement sous cette forme qu’ils s’est manifesté au patriarche Jacob. La présente prédication porte sur cette vision de « l’échelle de Jacob » (Gn 18.12s).

Le prédicateur estime que chaque mot compte dans ce texte : le temps auquel Dieu s’est révélé ainsi à Jacob, la forme particulière de la vision et les sentiments qui animent Jacob à son réveil.

Jacob reçoit cette vision alors qu’il a dû quitter la maison en attendant que les désirs de vengeance de son frère Esaü se calment. Il est seul, privé de sa famille et de son pays, et c’est alors que Dieu lui donne comme des arrhes de sa bienveillance.

Le Faucheur se livre à un petit tour d’horizon de la révélation par le songe dans les Ecritures. Jacob a bénéficie de trois visions de ce genre, dont celle-ci est, pour Le Faucheur, « la plus excellente en effet, tant pour la vision que pour l’oracle ».

Le prédicateur aborde les interprétations que les commentateurs juifs et chrétiens ont pu proposer. Pour lui, la vision de l’échelle a pour but d’assurer Jacob de la protection divine : « … selon ce sens, l’échelle était le voyage du Patriarche, qui se faisait voirement sur la terre, mais dont le but était le ciel, … Les Anges allaient et venaient, montant et descendant par les degrés de cette échelle, pour l’assurer qu’ils l’accompagneraient à l’aller et au retour, comme ordonnés de Dieu pour sa conservation et pour sa défense. » Mais l’usage que Jésus-Christ a pu faire de cette vision, dans son entretien avec Nathanaël, montre que la vision a une signification plus profonde encore. L’échelle représente le Seigneur lui-même, dans son humanité (l’échelle touche la terre) et dans sa divinité (le sommet de l’échelle atteint le ciel). Jacob bénéficie de la protection de Dieu dans la mesure où il est l’ancêtre du Christ, le moyen par lequel toutes les nations seraient bénies. Le Faucheur explique que l’ancienne alliance repose elle aussi sur l’œuvre du Fils : « Car jamais aucun n’a été réconcilié avec Dieu, que par le moyen de Jésus-Christ, et comme il n’a jamais eu qu’un seul Dieu, qui a toujours été le même sous le Vieil et sous le Nouveau Testament ; aussi n’y a-t-il jamais eu qu’un seul médiateur qui a toujours été le même, soit sous l’Ancienne, soit sous la Nouvelle Alliance, à savoir Jésus-Christ homme, lequel Dieu a proposé de tout temps pour propitiatoire par la foi en son sang. » Lui seul est capable de constituer cette échelle qui relie ciel et terre, Dieu et les hommes. Ni les saints, ni les anges, ni la Vierge Marie ne peuvent accomplir cette tâche. Le prédicateur s’en prend violemment à une vision d’un compagnon de St François qui avait vu deux échelles, celle du Christ et celle de Marie, cette dernière étant seule praticable pour les hommes.

Dans l’application, Le Faucheur s’adresse aux huguenots chassés de chez eux et leur conseille de prendre Jacob pour exemple. Lui aussi, quoique jouant un rôle central dans l’histoire du salut, se trouvait dans la même peine et devait apprendre de ne pas s’attacher aux choses de ce monde. Il avertit ceux qui vivent encore en sécurité de pas se fier à cet état de choses : « … reconnaissant en votre conscience de combien d’ingratitudes et de péchés vous êtes coupables envers [Dieu], préparez vous, avec humilité, patience, et douceur d’esprit, à tout ce qu’il lui plaira de vous envoyer … »

Le prédicateur attire ensuite l’attention de ses auditeurs sur l’attitude du patriarche qui se reposait sur la bonté de Dieu et la protection de sa providence. La vision que Dieu lui offre le revigore, et les fidèles qui l’imitent dans cette attitude seront récompensés de la même façon. Le rêve de Jacob lui a procuré une réelle consolation, et il en sera de même pour ceux qui espèrent en les promesses de Dieu : « ainsi, encore que les promesses que nous vous faisons de la part de Dieu, de son assistance dans vos malheurs, de la restauration future de son Eglise, et principalement de la gloire et de la béatitude éternelle qui vous est préparée au ciel, semblent, au prix des avantages présents et réels des impies, n’être que des paroles, des imaginations, et des songes ; assurez-vous, qu’elles s’accompliront à la fin, jusqu’à la moindre circonstance, et que les songes des fidèles se trouveront, au bout du compte, plus solides que tout ce que les profanes estiment de plus réel au monde. » La parole et la Sainte Cène constituent une réelle consolation pour les enfants de Dieu.

Pour en bénéficier, il faut cependant ressembler à Jacob et non pas à son mauvais frère Esaü. Ceux qui sont violents et remplis de mauvais désirs comme Esaü ne sauraient prétendre à la grâce divine, mais ceux qui, comme Jacob, cherchent d’abord le règne de Dieu et se confient en son amour sont protégés par lui. C’est à eux qu’appartiennent les promesses de l’Evangile et les grâces offertes en la Cène.

L’importance du sermon

Un thème qui est abordé en profondeur dans ce sermon, c’est celui de l’incarnation. On trouve une remarque intéressante à cet égard chez Françoise Chevalier, Prêcher sous l’Edit de Nantes, Labor et Fides, 1994, p. 117 :

« Dans les définitions qu’ils proposent de l’Incarnation, les pasteurs mettent l’accent sur a manifestation aux hommes et dans le monde de la miséricorde de Dieu. Ils ont là le moteur de leur exhortation à aimer et servir Dieu en reconnaissance de Ses bienfaits. L’exemple de son amour doit inviter le fidèle à adorer Dieu comme son créateur et son sauveur. […] Pierre Allix parle […] au cœur et à la sensibilité, Michel Lefaucheur préfère en appeler à la métaphore biblique, l’Incarnation est l’échelle que Jacob vit en songe. Il ne met plus l’accent, comme le faisait son collègue de Charenton, sur les motifs de l’Incarnation et sur l’obligation qui en résulte pour l’homme, mais sur les bénéfices qui en découlent. Ils sont au nombre de deux, cette échelle vient remédier à la faiblesse et à la corruption de la nature humaine, elle est aussi le chemin de la réconciliation entre la terre et le ciel. Alors que l’homme était condamné par la Loi, le Christ est venu pour notre infirmité. … »

Structure

Le Faucheur indique lui-même le plan qu’il s’est fixé : « En ces paroles, comme en toutes les autres de l’Ecriture, il n’y a rien d’inutile et qui ne mérite une bien expresse et bien attentive considération, soit pour le temps auquel Dieu a fait voir cette vision à Jacob, soit pour la façon en laquelle il la lui a proposée, soit pour la vision même, soit pour l’oracle que Dieu lui a lui-même prononcé, soit pour les saintes et religieuses émotions qu’il en a ressenties à son réveil. » La transition vers l’application est abrupte « … Il nous faudrait passer maintenant à la considération des paroles que Dieu dit à son serviteur : mais l’heure qui est écoulée, et la longueur de l’action que nous avons à faire, nous contraint d’arrêter ici et de vous exhorter à appliquer à l’instruction et à la consolation de vos âmes tout ce que nous venons de vous dire. » L’application semble se diviser en trois parties : (1) l’exhortation à l’acceptation des souffrances que la providence de Dieu réserve aux siens ; (2) l’invitation à la confiance en Dieu ; et (3) l’exigence d’une vie sanctifiée, car c’est à ceux qui vivent une vie qui plaise à Dieu qu’appartiennent les promesses de l’Evangile.

Le style

La prédication est relativement courte par rapport aux habitudes de l’époque (notre enregistrement dure un peu moins de trois quarts d’heure) mais le style est assez animé, Le Faucheur semble pressé ; on ressent bien ce que Vinet (Histoire de la prédication parmi les Réformés de France au dix-septième siècle, Ch. Meyrueis, Paris, 1860, p. 118) a appelé « sa marche continue et rapide, son style éminemment actif ». A noter également la langue relativement peu archaïque ; le lecteur moderne n’a besoin que de peu d’annotations explicatives.

Eléments oratoires

Bien que Le Faucheur s’intéressait beaucoup à l’art oratoire et a rédigé tout un traité à ce sujet, sa prédication ne donne pas beaucoup dans les effets rhétoriques. Ici et là, on devine une grande puissance oratoire, comme par exemple lorsqu’il fustige la malheureuse vision de Léon, disciple de St François.

Points forts

Il me semble que Le Faucheur est un théologien solide et clair ; j’ai particulièrement apprécié sa saine théologie de l’expiation sous l’ancienne alliance. L’interprétation christologique de l’échelle de Jacob semble également heureuse. Sur un plan plus pastoral, son souci d’avoir une parole pour les différents groupes de ses paroissiens (cf. son exhortation aux réfugiés de Montpellier, de Nîmes et d’Anduze) est touchant.

Faiblesses

Une chose que je reprocherais à ce sermon, c’est sa vision très peu scripturaire du jeune Jacob. Celui-ci apparaît ici comme un exemple de vertu, de confiance en Dieu et de haute spiritualité. Or la Genèse nous présente plutôt une crapule opportuniste qui triche de manière éhontée pour obtenir la bénédiction paternelle et que Dieu doit faire passer par sa dure école avant que Jacob ne devienne Israël. Si Dieu a préféré Jacob à Esaü, ce n’est pas à cause de ses vertus ; ce choix a son origine en Dieu, comme l’élection en général. Il me semble que Le Faucheur, ou bien n’a pas assez vu cela, ou bien a forcé le trait afin de coller au message qu’il souhaitait délivrer.

 

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