Jean-Baptiste Massillon

(1663-1742)

La mort du pécheur et la mort du juste

Le texte (orthographe modernisé, annotations explicatives)

Le texte de base

Ap 14.13 : Heureux sont les morts qui meurent dans le Seigneur

Contenu

Dans ce sermon, Massillon cherche à dépeindre la mort du pécheur et celle du juste afin de susciter la terreur et le désir chez ses auditeurs, étant donné que leur mort correspondra nécessairement à l’une de ces deux situations. Tout le discours est axé sur ce contraste saisissant.

La première partie du sermon, consacrée à la mort du pécheur, part du constat de la brièveté et de l’incertitude de la vie. La mort est inéluctable, et elle n’a que deux issues.

L’heure de sa mort est terrible pour le pécheur. En contemplant sa vie passée, il y voit des peines inutiles, des plaisirs éphémères et des crimes qui vont le suivre.

Toutes les peines qu’il a endurées, toute l’agitation de sa vie, tout cela n’a pas porté des fruits durables ; il se rend compte qu’il a beau avoir rempli l’histoire de ses actions et le monde du bruit de son nom, il n’a rien qui puisse le suivre devant Dieu. La perspective change lorsqu’on contemple sa vie alors qu’elle est sur le point de se terminer.

Les plaisirs de la vie, quant à eux, n’ont duré qu’un instant. Et à bien des égards, ils ont été la source de tous ses chagrins, sans compter le fait que Dieu l’en tiendra responsable.

Et à cela s’ajoute que le mourant trouve aussi la mémoire de ses crimes. Or le jugement de Dieu approche ! Et son entourage même rappelle au pécheur ses méfaits :

« Tout ce qui environne le lit de sa mort fait revivre dans son souvenir quelque nouveau crime ; des domestiques qu’il a scandalisés ; des enfants qu’il a négligés ; une épouse qu’il a contristée par des passions étrangères ; des ministres de l’Eglise qu’il a méprisés ; les images criminelles de ses passions encore peintes sur ces murs ; les biens dont il a abusé ; le luxe qui l’entoure, dont les pauvres et ses créanciers ont souffert ; l’orgueil de ses édifices, que le bien de la veuve et de l’orphelin, que la misère publique a peut-être élevés ; tout enfin, le ciel et la terre, dit Job, s’élèvent contre lui, et lui rappellent l’histoire affreuse de ses passions et de ses crimes … »

Et ce n’est pas tout. Ce qui se passe autour du mourant lui est source de tristesse : ses surprises, ses séparations et ses changements.

Le pécheur est surpris par l’avènement du jour du jugement alors qu’il n’a pas encore mis de l’ordre dans sa conscience. Il pensait arrivé le moment de profiter des achèvements de la vie, mais le sol se dérobe sous ses pieds. Cette surprise est amplifiée par le fait que tout le monde autour de lui cache la réalité de son état. Lui-même refuse d’ouvrir les yeux sur l’imminence de sa mort. Il se voit donc confronté, au dernier moment, à l’impossibilité de revenir sur ses pas.

Le pécheur subit alors des séparations douloureuses : séparation d’avec les choses qu’il a accumulées, séparation d’avec la splendeur qui l’environne, séparation d’avec ses charges et honneurs, séparation d’avec son corps, séparation d’avec ses proches et ses amis, séparation d’avec le monde, séparation d’avec toutes les autres créatures.

Enfin, tout change pour le pécheur mourant : Tout le monde l’abandonne et se retire de lui, car il n’y a plus rien à espérer de la part du mourant. Ses louanges s’abiment dans l’oubli. Son corps se désintègre, et tout autour de lui ne lui renvoie que l’image de la mort.

La pensée de l’avenir génère en lui des sentiments d’horreur et de désespoir, face à cette région de ténèbres inconnue, cet abîme immense. Son tombeau horrible la perspective du jugement redoutable qui l’attend ont de quoi le faire trembler. Confronté à la proximité immédiate de la mort, il désespère alors de la clémence divine et ne saisit pas les remèdes que la religion offre au mourant. Même l’invitation du prêtre « Partez, âme chrétienne » lui est amère, car il a vécu comme s’il n’avait pas d’âme, et il doit constater que c’est elle qui va se présenter au jugement. Comment s’étonner que sa mort est un supplice.

La deuxième partie du sermon est consacrée à la mort du juste. Lui aussi connaît quelque chose de l’horreur de la mort, mais celle-ci est surmontée par la grâce. En citant St Bernard, Massillon évoque de nouveau le regard du mourant vers le passé, vers le présent et vers l’avenir, mais cette fois-ci cette contemplation est source de joie.

Le souvenir du passé suscite dans le mourant le soulagement de voir la fin de ses peines (requies de labore). Rien n’est plus réconfortant pour cette âme que le souvenir des violences qu’elle s’est faites pour Dieu, mais aussi des afflictions passagères, des tentations surmontées, des attaques du monde enfin terminées, le risque de naufrage définitivement écarté. Les combats sont finis, les obstacles anéantis, elle est finalement arrivée à bon port. Le souvenir des chutes est bien sûr également présent, mais il est comme expié par la pénitence et le renouvellement de la ferveur ; la douleur des fautes est sublimée en joie et reconnaissance envers Dieu. Les anciennes miséricordes de Dieu en font espérer de nouvelles ; Dieu ne lui apparaît pas tant comme un juge terrible mais comme un père miséricordieux.

Ce qui se passe autour d’elle est également pour elle une source de joie (gaudium de novitate). Contrairement au pécheur, rien ne la surprend ; le jour du Seigneur, loin de la surprendre, est pour elle l’accomplissement d’un désir. S’étant préparée à cette heure toute sa vie, elle meurt tranquille, consolée, sans frayeur. Alors que le pécheur mourant réalise qu’il s’était mépris à l’égard du monde, le juste était toujours convaincu de sa nature passagère, et il meurt dans la douce certitude d’avoir fait le bon choix. Les discours des ministres de l’Eglise lui sont doux et consolants.

Le juste qui meurt ne subit aucunement la douleur de la séparation ; il ne regrette pas le monde et ses biens, ses titres et dignités, car il n’y était jamais attaché. La séparation d’avec ses proches et amis ne lui pèse que peu, car il sait qu’il les retrouvera bientôt auprès de Dieu. Il se sépare volontiers de son corps, c’est pour lui comme un vêtement étranger dont il se débarrasse. « Ainsi la mort ne [le] sépare de rien, parce que la foi l’avait déjà séparé de tout. »

Aussi, les changements qui se font au lit de la mort ne changent rien au fond, pour l’âme fidèle. La raison s’éteint, mais elle était déjà captive de la foi ; ses yeux s’obscurcissent, mais elle ne contemplait déjà plus que les choses invisibles ; ses sens s’émoussent, mais là encore, elle s’était déjà interdit leur usage naturel. La mort du croyant le rend grand et digne.

La pensée de l’avenir est encore source de joie et de consolation pour l’âme fidèle confrontée à la mort (securitas de æternitate). Il y a là une inversion notable qui s’opère : alors que le pécheur avait vu son avenir avec assurance, la terreur le saisit dans ses derniers instants. L’âme fidèle, par contre, qui travaillait à son salut avec crainte et tremblement pendant toute sa vie, l’espérance l’envahit lorsque la mort approche.

Lorsque les ministres de l’Eglise lui enjoignent de partir, c’est un grand bonheur pour elle ; elle s’endort tranquillement et retourne à Dieu.

Structure

Dans l’ensemble, ce sermon est extrêmement travaillé du point de vue de la structure.

L’entrée en matière me semble très réussie et profonde (« on meurt comme on a vécu »). Massillon indique clairement les deux parties de son discours dont l’une est consacrée à la mort du pécheur et l’autre à la mort du juste. A l’intérieur de ces parties, on trouve une structuration très nette. Massillon aime à annoncer les (généralement, trois) points qu’il va traiter, à les énoncer clairement en cours de traitement et à les rappeler en résumé.

Introduction

Partie 1 : la mort du pécheur

Partie 2 : la mort du juste

L’importance du sermon

Massillon sait appuyer là où ça fait mal et créer une atmosphère psychologique intense, qui va en crescendo. Surtout la description de la mort du pécheur montre une maîtrise remarquable des effets psychologiques ; il est difficile de rester de marbre face à cette attaque en règle. En revanche, la sérénité du saint mourant se reflète aussi dans la tonalité plus légère de la deuxième partie du sermon. Tout cela est parfaitement bien réglé et maîtrisé.

Le style

Massillon a une belle maîtrise de la langue française. Son sermon est très écrit, c’est un texte littéraire ; on est très loin de toute improvisation.

Eléments oratoires

Massillon utilise avec abondance la répétition comme élément structurant et interpellant. Quelques exemples suffiront :

Faiblesses

Massillon semble s’être adressé à un public familier du latin ; presque toutes les citations bibliques sont prises de la Vulgate. Cette particularité fait que le sermon en l’état est plus difficilement accessible à un public non versé dans cette langue, et lui confère un air quelque peu élitiste, du moins pour le lecteur moderne.

Plus fondamentalement, il fait des textes bibliques (surtout Job, Esaië et les Psaumes) un usage presque marginal. Massillon est davantage psychologue que bibliste ; son discours semble davantage fondé sur l’expérience pastorale que sur les affirmations de l’Ecriture, qui servent plutôt comme bouts de phrases illustrant ses propos. D’ailleurs, la structure du sermon semble avant tout inspirée par une pensée de St Bernard.

Sur le fond, j’ai été quelque peu gêné par cette insistance toute catholique sur la vertu de la souffrance, de la pénitence, des macérations, mortifications etc., un certain dolorisme qui ne semble pas avoir de répondant dans l’enseignement biblique. Quand on lit, par exemple, que le juste traite son corps « comme son ennemi » qu’il avait toujours châtié, crucifié, cela ne semble guère en phase avec une saine attitude biblique.

 

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