Jean Claude

(1619-1687)

Traité de la composition d’un sermon

Chapitre 3 : De la tractation

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Je viens maintenant à la tractation, sur laquelle d’abord je dirai quelque chose sur le choix des textes. (1) Il ne faut jamais prendre des textes, [à moins] qu’il n’y ait un sens complet. Car il n’appartient qu’à des impertinents et à des fous d’aller prêcher sur un mot ou deux, qui ne signifient rien. (2) Il faut même non seulement prendre des paroles qui aient un sens complet en elles-mêmes, mais il faut aussi que ce soit le sens complet de l’auteur duquel vous prenez les paroles, car c’est son discours et sa pensée que vous expliquez. Par exemple, si quelqu’un prenait ces paroles, 2 Co 1.34 : Béni soit Dieu qui est le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation, et qu’il s’arrêtait là, il prendrait un sens complet, mais ce ne serait pas celui de l’apôtre. S’il allait plus avant, et qu’il ajoutât : qui nous console en toute notre affliction, ce ne serait pas encore le sens complet de saint Paul ; il faut donc aller jusqu’à la fin du verset 4, car alors on aura tout ce que saint Paul veut dire. Pourvu qu’on prenne le sens complet de l’auteur sacré, on peut s’arrêter là. Car il y a peu de textes dans l’Ecriture de cette nature, qui ne fournissent assez de matière pour faire une juste action, et il est également incommode de prendre trop de matière, et de n’en prendre pas assez. Il faut éviter l’une et l’autre de ces deux extrémités.

Quand on prend un texte où il y a peu de matière, on est obligé de s’écarter assez loin de son sujet, pour aller chercher de quoi parler. On se jette dans des jeux d’esprit et d’imagination qui ne sont pas trop du génie de la chaire, et en un mot, on fait naître dans l’esprit des auditeurs cette pensée que l’on se veut prêcher soi-même plutôt que Jésus-Christ, c’est-à-dire que l’on veut paraître bel esprit au lieu de se proposer l’instruction et l’édification du peuple. Quand aussi on prend trop de texte, et un sujet où il y a trop de matière à expliquer, on ne saurait qu’on ne laisse perdre beaucoup de considérations belles et importantes qu’on pourrait faire, ou qu’on se jette dans un longueur ennuyeuse. Il faut donc garder mesure dans le choix des textes, et tâcher de ne prendre, ni trop, ni trop peu de matière. Il y en a qui disent que la prédication n’est destinée que pour donner l’intelligence de l’Ecriture, et qu’ainsi, il faut prendre beaucoup de texte, et se contenter d’en donner le sens et d’y faire les principales réflexions. Mais le principe de ces gens-là est faux, car la prédication est destinée non seulement pour donner l’intelligence de l’Ecriture, mais aussi pour donner l’intelligence de la théologie, et pour expliquer la religion, ce qui ne se peut faire si l’on prend trop de matière. Ainsi, je crois que la manière dont un en use communément dans nos Eglises est la plus raisonnable et la plus conforme à la fin de la prédication. Chaque particulier peut lire chez soi l’Ecriture avec des notes ou des commentaires, pour en avoir simplement le sens, mais on ne saurait instruire, dénouer les difficultés, éclaircir les mystères, pénétrer bien avant dans les voies de la sagesse de Dieu, établir fortement les vérités évangéliques, réfuter les erreurs, consoler, corriger, censurer les vices, remplir l’esprit des auditeurs de l’admiration des merveilles de Dieu, enflammer leur âme de zèle, les porter efficacement à la piété et à la sainteté, qui sont les fins de la prédication, si l’on ne va plus avant que de donner la simple intelligence de l’Ecriture.

Voilà en général ce qu’on peut dire touchant le choix des textes. Mais en particulier, il faut aussi avoir égard aux circonstances des temps, des lieux et des personnes, et choisir des textes qui y aient du rapport. A l’égard des temps, je n’approuve, ni ne dois approuver la coutume de feu Monsieur Daillé, qui, avant de prêcher, les jours des fêtes de ceux de l’Eglise romaine, avait accoutumé [1] de choisir des textes sur le sujet de ces fêtes ; et souvent il les tournait à la censure de la superstition. Je ne blâme point cela, mais je ne voudrais point en faire métier, car les fêtes de ceux de l’Eglise romaine sont un temps pour eux, et non pour nous, et il est certain que l’esprit de nos auditeurs ne cherche guère, ni à être éclairci, ni à être édifié sur ces sortes de sujets. Il faut donc, ce me semble, user sobrement de cette manière d’agir. Il n’en est pas de même des temps particuliers qui nous appartiennent, qui sont de deux sortes : ou des temps particuliers réglés, qu’on appelle stata tempora, qui reviennent tous les ans dans les mêmes saisons, ou des temps extraordinaires et non réglés, qui n’arrivent que par accident, ou, pour mieux dire, lorsqu’il plaît à Dieu. Cette première sorte de temps est, ou les jours de la Cène, ou les jours qui sont solennels parmi nous, comme le jour de Noël, celui de Pâque, celui de la Pentecôte, celui de l’Ascension, le premier jour de l’an, le Vendredi saint, comme on parle. Dans ces jours, on doit choisir des textes particuliers qui regardent le sujet du jour, car ce serait une trop grande négligence, de prendre en ces jours-là des textes qui ne s’y rapportassent point. Il ne faut pas même douter qu’on ne doive faire en ces jours-là de particuliers efforts, parce que ce sont des jours où l’auditeur est dans une grande attente, laquelle, si vous ne la remplissez pas, se tourne en mépris et en quelque espèce d’indignation contre le prédicateur.

Les occasions particulières non réglées, mais qui arrivent par accident, sont, ou les jours de jeûne, ou les jours de l’imposition des mains des pasteurs, ou des jours auxquels il faut extraordinairement consoler son troupeau, soit à cause de quelque grand scandale qui est arrivé, soit à cause de quelque grande affliction, ou enfin des jours auxquels il faut extraordinairement censurer [2] . Pour les jours de jeûne, il est certain qu’il faut prendre des textes particuliers, choisis expressément pour cela, mais dans les autres occasions, cela doit dépendre du jugement du prédicateur. Car il y a peu de textes sur lesquels il ne puisse se prendre occasion de consoler, d’exhorter, et de censurer [2] d’une manière extraordinaire. Et à moins que le sujet dont il s’agit soit extrêmement grand, le plus sûr est de ne changer point son texte accoutumé [3]. Pour les jours où l’on impose les mains, il faut prendre des textes extraordinaires et convenables à l’action dont il s’agit, soit que l’on regarde la personne qui impose les mains, soit que l’on considère celui à qui l’imposition des mains a été donnée, car le plus souvent celui qui a reçu l’imposition des mains le matin fait l’action l’après-dinée [4].

Je dirai un mot touchant les actions que l’on fait dans les Eglises étrangères. (1) Il faut s’empêcher de faire un choix de texte qui paraisse bizarre, ni où il y ait de la vanité à soupçonner. (2) Il ne faut point aussi choisir des textes qui soient absolument de censure [5], car ce n’est point à un étranger à se mêler de censurer [2] un troupeau sur lequel il n’a point d’inspection, à moins qu’il y eût une vocation particulière pour cela, c’est-à-dire qu’on y fût envoyé par un Synode, ou qu’on en fût prié par l’Eglise même. Et en ce cas il faut que la censure [5] soit conduite par la sagesse et tempérée par la douceur. (3) Il ne faut point choisir des textes de curiosité, ni de questions épineuses, autrement on dira qu’un homme a eu dessin de se prêcher soi-même. (4) Mais il faut choisir un texte de doctrine ordinaire, où l’on puisse pourtant mêler la morale avec la doctrine, et il faut plutôt tourner les choses morales du côté de l’exhortation, et de la consolation, que du côté de la censure [5]  ; non qu’on ne puisse censurer [2] des vicieux, car cela est toujours essentiel à la prédication, mais il le faut faire sobrement et en général lorsqu’on est hors de son troupeau, et ne faire que très peu d’application de la censure [5] aux auditeurs.

Annotations

[1] avait l’habitude

[2] reprendre, blâmer

[3] habituel

[4] après-midi

[5] réprimande, blâme

 

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