Jean Claude

(1619-1687)

Traité de la composition d’un sermon

Chapitre 4 : Règles générales touchant les sermons

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4.1 Qu’une tractation soit claire

Voilà pour le choix des textes. Je viens maintenant à leur tractation, et je ne prétends point mettre seulement en avant [de] certaines règles générales que tout le monde sait, bien que peu de personnes les observent. Je dirai néanmoins premièrement qu’il faut que la tractation explique clairement et nettement un texte, qu’elle en fasse comprendre facilement le sens, et qu’elle mette les choses tellement devant les yeux que les auditeurs n’aient nulle peine à les comprendre. Cette règle va à condamner l’obscurité et l’embarras, qui est la chose du monde la plus importune dans une chaire. Il faut se figurer que la plupart des auditeurs sont des gens simples, à qui pourtant il faut faire profiter la prédication, ce qui ne se peut à moins qu’on soit fort clair. Et quant aux personnes savantes qui vous écoutent, il est certain qu’ils vous estimeront toujours beaucoup plus si vous êtes clair que si vous êtes obscur, et cela pour deux raisons : l’une, qu’ils ont eux-mêmes égard aux simples, et que leur charité n’est point contente si les plus simples ne sont pas satisfaits. L’autre raison est qu’ils sont eux-mêmes bien aisés de n’être pas obligés à une trop grande application d’esprit, ce qui serait, si le discours du prédicateur était obscur. Les esprits des hommes, quels qu’ils soient, savants et ignorants, fuient ordinairement la peine, et les savants sont assez fatigués dans le cabinet, sans l’être encore dans le Temple.

4.2 Que la tractation donne le sens entier de tout le texte

En second lieu, il faut que la tractation donne le sens entier de tout le texte, et pour cet effet, qu’elle le considère dans tous les égards ou dans toutes les vues dans lesquelles il doit être considéré. Cette règle condamne de [1] certaines explications sèches et stériles, dans lesquelles un prédicateur ne marque avoir [2], ni étude, ni invention, et où il laisse à dire [3] quantité de belles choses que son texte lui pouvait fournir. Ces sortes de prédications sont extrêmement dégoûtantes ; l’esprit ne s’y trouve, ni élevé, ni rempli, et le cœur ne s’en sent nullement ému. Or en matière de religion et de piété, n’édifier pas beaucoup, c’est détruire. Un sermon froid et pauvre fait plus de mal dans une heure que cent beaux sermons ne sauraient faire de bien. Je voudrais donc, non qu’un prédicateur fit toujours ses derniers efforts, ni qu’il prêchât toujours également bien, car cela ne se peut, ni ne se doit - il y a des occasions extraordinaires pour lesquelles il faut réserver toutes ses forces – mais je voudrais au moins que dans ces actions ordinaires et médiocres [4], il y eût un certain degré de plénitude qui laissât l’esprit de l’auditeur content et rempli. Il ne faut pas toujours le porter hors de soi-même, ni le ravir en extase, mais il faut toujours le satisfaire et le maintenir dans l’amour et dans le désir de pratiquer la piété.

4.3 Sur la sagesse, la sobriété et la chasteté

En troisième lieu, il faut qu’un prédicateur, dans sa tractation, soit sage, sobre et chaste. Je dis sage, par opposition à ces impertinents qui débitent des mots pour rire, des comparaisons burlesques, des quolibets et des extravagances, et tels sont une grande partie des prédicateurs de l’Eglise romaine. Je dis sobre, par opposition à ces esprits téméraires qui veulent tout pénétrer, et qui poussent la curiosité sur les mystères au-delà des bornes de la modestie chrétienne. Tels sont ceux qui ne font pas difficulté de débiter en chaire toutes les spéculations de l’Ecole sur le mystère de la trinité, ou sur celui de l’incarnation, ou sur celui de la réprobation éternelle des hommes. Tels sont ceux qui font en chaire des questions à perte de vue, touchant ce qui eût été si Adam fût demeuré dans son état d’innocence, ou touchant l’état des âmes après la mort, ou sur le sujet de la résurrection future, ou sur notre état dans la gloire éternelle du paradis. Tels sont ceux qui remplissent leurs sermons des diverses interprétations d’un terme, ou des différents sentiments des interprètes touchant le sens d’un passage, ou qui accablent leurs auditeurs par des récits importuns d’histoires anciennes, ou par le rapport des diverses hérésies qui ont troublé l’Eglise sur quelque matière. Tout cela pèche contre la sobriété dont nous parlons, et qui est une des plus belles vertus de la chaire. Je dis de plus qu’il faut qu’il soit chaste, par opposition à ces esprits hardis et impudents qui ne craignent point de dire beaucoup de choses, lesquelles font naître de mauvaises images dans l’esprit. On ne peut pas appeler chaste un prédicateur qui, traitant la matière de la conception de Jésus-Christ dans le sein de la Vierge par la vertu du Saint-Esprit sans l’intervention d’aucun homme, ne se souciera pas de dire des choses, ou qui choqueront la pudeur, ou qui donneront lieu aux profanes de dire quelque méchant mot. Il y a je ne sais combien d’occasions de cette nature, comme quand on traite la génération éternelle du Fils de Dieu, ou quand on presse le terme de régénération que l’Ecriture emploie pour exprimer notre conversion, ou quand on explique cette semence de Dieu de laquelle nous sommes nés selon l’apôtre saint Jean, ou quand on traite les passages qui marquent les devoirs de la femme envers son mari, ou du mari envers sa femme, ou quand on parle de l’amour de Jésus-Christ envers son Eglise, sous l’idée de l’amour conjugal, ou quand on traite la félicité éternelle sous l’image d’un banquet ou d’une solennité de noces. Dans toutes ces occasions et autres semblables, la chasteté veut qu’in pèse tellement ses expressions et qu’on fasse un si bon choix de ses pensées que l’esprit de l’auditeur soit entièrement éloigné de toute sorte d’idées charnelles et terrestres. Or le vrai moyen de réussir en cela, est de ne presser point trop les termes métaphoriques, de se tenir dans des considérations générales et, si l’on peut, d’expliquer le terme métaphorique en deux mots, et s’attacher ensuite à la chose même.

4.4 De la simplicité et de la gravité que doit avoir un prédicateur

En quatrième lieu, il faut qu’un prédicateur, dans sa tractation, soit simple et grave. Simple, c’est-à-dire, qu’il dise des choses qui sont du sens naturel, sans se jeter dans les spéculations métaphysiques. Car il n’y a rien de plus incommode que ces gens qui débitent en chaire ces sortes de pensées abstraites qui donnent des définitions en forme, qui font des questions scolastiques sur leur texte. Par exemple, touchant la manière de l’existence des anges et le moyen par lequel ils se communiquent entre eux leurs pensées, touchant la manière dont les idées sont éternellement dans l’entendement divin et autres choses de cette nature, qui sans doute résistent à la simplicité. Mais il faut aussi qu’il soit grave, et qu’il évite toute sorte de pensées et même d’expression basses, toutes sortes de proverbes et de choses trop populaires. La chaire est faite pour le bon sens naturel, mais pour le bon sens des honnêtes gens. Elle ne veut point d’un côté qu’on philosophe trop, mais elle ne veut pas aussi [5] qu’on s’abaisse, ni qu’on rampe dans la lie du peuple.

4.5 Il faut qu’un prédicateur instruise et touche

En cinquième lieu, il faut que la tractation instruise l’esprit, mais d’une manière pourtant qui touche aussi la conscience, soit en la consolant ou en l’excitant aux actes de la piété, de la repentance et de la sainteté. Or cela se peut faire en deux manières : L’une formelle, en tournant les matières qu’on traite du côté de la morale, et les appliquant semblablement à vos auditeurs. L’autre, par le simple choix des choses qu’on dira. Car il est certain que, si elles sont bonnes, solides, évangéliques, édifiantes d’elles-mêmes, quand on n’en ferait formellement aucune application, les auditeurs ne manqueront pas de se la faire eux-mêmes, parce que ces sortes de choses sont d’une telle nature qu’elles ne sauraient entrer dans l’esprit qu’en même temps elles ne pénètrent jusqu’au cœur.

Ce que l’on doit juger d’un prédicateur qui applique les doctrines à mesure qu’il les explique

Je ne blâme point la manière dont usent quelques prédicateurs, qui est qu’à mesure qu’ils ont traité quelque point de doctrine, ou qu’ils ont fait quelque importante considération, ils en font en même temps une brève application morale aux auditeurs. C’est ainsi qu’en use très souvent Monsieur Daillé. Je dirai seulement qu’il ne faut pas faire de cela une coutume [6] perpétuelle. Premièrement, parce que ce qui se tourne en coutume ne fait presque plus d’effet, l’esprit de l’auditeur y étant préparé. Deuxièmement, parce que cela même interrompt en quelque manière le cours de l’explication que vous devez donner à votre texte, et par conséquent interrompt aussi l’attention de votre auditeur, ce qui est un inconvénient assez fâcheux. Néanmoins, quand cela se fera rarement et à propos, on en tirera sans doute quelque avantage. Il y a aussi, outre cet usage que je viens de marquer, une autre manière pour tourner les choses du côté de la morale, qui est à mon avis plus grande, plus noble et plus efficace. C’est de traiter la doctrine contenue dans votre texte par voie d’application perpétuelle. Cette manière produit un grand effet, car elle plaît, elle instruit et elle touche partout et en même temps. Il ne faut pas pourtant s’en faire une habitude, par la raison que je viens de marquer que les choses qui sont tournées en habitude ne produisent presque plus aucun fruit. Il faut diversifier ces manières afin qu’on ne dise pas que vous n’avez qu’un chemin, et que l’esprit de l’auditeur ne se fatigue de se voir toujours traité d’une même sorte. Car il n’y a rien de plus délicat, ni qui se rebute plus facilement que l’esprit humain. Il faut donc choisir bien ses occasions et ses sujets, car il y a sans doute des temps qui sont plus propres pour cela, comme sont les jours de jeûne et les jours de Cène, et il y a aussi des matières qui sont plus propres à être traitées de cette manière, je veux dire par voie d’application perpétuelle, comme, entre autres, celle de la justification. Car vous pouvez fort bien dire à vos auditeurs que vous allez leur proposer, non la doctrine de la justification, mais la manière dont il faut que chacun d’eux soit justifié, et les mouvements de conscience qu’ils doivent avoir pour cela. Je mets en ce rang l’explication de plusieurs commandements de la Loi, comme Tu ne déroberas point ! Tu de paillarderas [7] point !, Tu ne diras point faux témoignage ! etc. Car ces commandements se peuvent fort bien traiter par une exacte énumération des vices auxquels nous sommes sujets, et qui sont contraires aux commandements dont il s’agit, et en même temps par l’énumération des vertus auxquelles le commandement nous oblige, et dont nous sommes fort éloignés. Or cela est une espèce d’examen que nous faisons de nous-mêmes. Sur la règle de ce commandement je mets aussi en ce rang les textes d’exhortation comme sont ceux ci : Que chacun s’éprouve soi-même, et ainsi qu’il mange de ce pain et boive de cette coupe. Si nous sommes ressuscités avec Christ, cherchons les choses qui sont en haut, et non point celles qui sont sur la terre. Epluchez-vous [8], épluchez-vous, nations non désirables, et plusieurs autres de cette nature. Car alors, au lieu de faire des réflexions de théorie sur l’épreuve de soi-même, sur notre résurrection avec Jésus-Christ et notre élévation aux choses du ciel, et sur cet épluchement [9] auquel le prophète nous exhorte, on peut avec beaucoup d’utilité obliger l’auditeur sur le champ à mettre en pratique ce que le texte porte, et en effet l’exécuter dans tout le corps de l’action. Cette méthode est sans doute grande, belle et pleine d’admirables fruits, mais il faut qu’elle soit bien exécutée, avec adresse, avec force, avec choix des pensées et des expressions ; autrement, un prédicateur ne fera que se faire moquer de lui, il aura ouvert une carrière et il ne l’aura pas su remplir, et alors on dira de lui : Parturiunt montes, nascetur ridiculus mus. [10] ou : Quid dignum feret tanto promissor hiatu ? [11]

4.6 Il faut éviter l’excès d’esprit et de doctrine, n’épuiser point son sujet, n’outrer pas les métaphores, ni le raisonnement

En sixième lieu, un des plus importants préceptes pour la tractation d’un texte, et pour la composition d’un sermon est d’éviter en toutes choses l’excès. Ne quid nimis. [12]

(1) Il n’y faut point mettre trop d’esprit, je veux dire, trop de ces sortes de choses brillantes, surprenantes et agréables, car cela fait plusieurs méchants effets : l’auditeur ne manque jamais de dire : « C’est un homme qui fait le bel esprit et qui se prêche soi-même ; ce n’est point l’Esprit de Dieu, mais l’esprit du monde qui l’anime. » D’ailleurs, l’auditeur en est accablé : l’esprit humain a ses bornes et ses mesures, et comme l’œil est ébloui et offensé d’un trop grand éclat de lumière, notre esprit de même l’est d’un trop grand amas de belles choses. De plus, cela empêche le principal effet de la prédication, qui est de sanctifier la conscience. Car quand l’esprit est accablé de trop de belles choses, il n’a pas le loisir de faire réflexion sur les objets pour les faire passer jusqu’au cœur, joint que [13] ces sortes de choses qui égaient fort l’esprit ne sont pas trop propres à émouvoir la conscience. Cela flatte l’imagination, et puis c’est tout. On ne manque aussi jamais de dire d’un tel prédicateur : « Il a de l’esprit, il a l’imagination vive et abondante. », mais le plus souvent, on y ajoute : « Il n’est pas solide. » Enfin, il est impossible que quand on se pique de remplir un sermon de beaucoup d’esprit, on soit en état de se soutenir toujours de même sans tomber dans des redites importunes ; il est même bien difficile que dans un même sermon il ne s’y trouve plusieurs faux brillants qu’on appelle du faux esprit, comme cela se voit tous les jours par l’expérience.

(2) Il ne faut point aussi charger son sermon de trop de doctrine, tant parce que la mémoire de l’auditeur ne sera pas capable de retenir tout cela, et que voulant retenir tout, elle ne retiendra rien, que parce que aussi que quand on remplit un sermon de trop de doctrine, il faut nécessairement, ou être excessivement long, ou proposer la doctrine d’une manière sèche, serrée et scolastique, ce qui lui ôte presque toute sa beauté et son efficace [14]. Il faut, dans un sermon, instruire, plaire et toucher, c’est-à-dire qu’il faut toujours faire ces trois choses autant qu’il se peut. Ainsi, dans la partie instructive qu’est la doctrine, il faut se souvenir qu’on la doit proposer d’une manière agréable et touchante ; de même dans les agréments, il faut qu’ils soient tels que non seulement ils plaisent, mais aussi qu’ils instruisent et qu’ils touchent, et dans la partie touchante qu’est la conclusion, il ne faut pas aussi [15] négliger l’agrément, ni même tout à fait l’instruction. On doit donc bien prendre garde de ne changer pas son sermon de trop de matière.

(3) On doit aussi prendre bien garde de n’outrer [16] jamais aucune matière particulière, soit en voulant l’épuiser absolument, soit en voulant la trop pénétrer. Si on la veut épuiser, il faut dire quantité de choses communes, sans choix et sans discernement. Et si on la veut trop pénétrer, on ne saurait éviter qu’on ne tombe dans des questions curieuses, et dans des subtilités peu édifiantes, souvent même, pour trop subtiliser, on s’évapore, et l’auditeur ne vous peut plus suivre.

(4) Il ne faut point outrer [16] la métaphore ou les figures, ce qui se fait en poussant la métaphore jusqu’à l’allégorie, ou en poussant le parallèle. On change la métaphore en allégorie quand on entasse un nombre de choses qui conviennent à un sujet, en gardant toujours la métaphore, comme par exemple, si on expliquait ce texte : Dieu nous est un soleil et un bouclier. Ce serait pousser la métaphore jusqu’à l’allégorie que de faire un grand amas de ce que Dieu est en soi-même, de ce qu’il est à notre égard, de ce qu’il fait dans l’entendement et dans la conscience des fidèles, de ce qu’il opère sur les méchants, de ce que son absence nous cause, et sous des termes qui eussent un perpétuel rapport au soleil. Ce n’est pas qu’on ne puisse quelquefois faire des allégories, et qu’elles ne soient très belles, mais il ne faut pas outrer [16], c’est-à-dire qu’il ne faut pas épuiser tout ce qu’on peut dire sur ce sujet. On pousse trop le parallèle quand on a entassé un trop grand nombre de conformités qui sont entre la figure et la chose représentée par la figure. C’est le vice presque perpétuel des prédicateurs bas et médiocres, car quand il vous attrapent un mot figuré ou une métaphore, comme par exemple lorsque la Parole de Dieu est appelée un feu, une épée etc. ou l’Eglise une maison, une colombe etc. ou Jésus-Christ une lumière, un soleil, un cep, une porte etc., ils ne manquent jamais de vous enfiler un grand nombre de conformités [17] entre ces figures et les choses mêmes, et le plus souvent, ils en disent de ridicules. C’est donc un vice qu’il faut éviter, en se contentant d’expliquer la métaphore en peu de mots, et d’en marquer les principaux fondements, pour ensuite s’attacher à la chose même

(5) Il ne faut pas outrer [16] le raisonnement, ce qui se peut faire en plusieurs manières : Ou en faisant des raisonnements longs et composés de quantité de propositions enchaînées les unes dans les autres, de principes et de conséquences : cela est embarrassant et donne trop de peine à l’auditeur ; ou en faisant des raisonnements de plusieurs branches, qu’on établit ensuite l’une après l’autre : cela aussi est ennuyeux et fatigue trop l’esprit. L’esprit humain demande d’être conduit par un chemin plus uni et plus facile. Il ne faut pas tout prouver à [18] une fois, mais, en supposant des principes qui d’ailleurs soient véritables et du bon sens, et que vous soyez en état de soutenir et de prouver quand il sera nécessaire, il se faut contenter de les employer à la preuve de ce que vous avez en main. Cependant, je n’entends pas que quand on raisonne, on fasse des arguments en quatre mots d’une façon sèche et qui dérobe à la preuve la moitié de sa force, comme font plusieurs auteurs. J’entends qu’on garde mesure, c’est-à-dire que sans fatiguer trop l’esprit et l’attention de l’auditeur, on donne néanmoins au raisonnement toute la force et la clarté nécessaire pour produire son effet. On peut aussi outrer [16] le raisonnement par le nombre, en entassant une grande quantité de preuves différentes sur un même sujet. Le grand nombre de preuves n’est supportable que quand il s’agit d’une chose capitale qui peut trouver de la résistance dans l’esprit des auditeurs, ou quand il s’agit d’une chose controversée. Encore faut-il que vous soyez obligé de la traiter ex professo et à fond, car autrement l’auditeur regardera cette grande application que vous aurez apportée à prouver votre sujet comme un écart et une digression inutile. Mais lorsque vous êtes obligé de traiter un sujet à fond, que ce sujet est très important, qu’il peut être révoqué en doute [19], ou qu’il est en effet controversé, alors le grand nombre de preuves a lieu [20]. Car il faut en ce cas se proposer de convaincre l’esprit et d’accabler l’adversaire en laissant triompher la vérité par trente manières différentes. Plusieurs preuves ajoutées, l’une sur l’autre, sont comme plusieurs rayons qui se fortifient naturellement, et qui font tous ensemble un corps de lumière auquel il n’est pas possible de résister.

4.7 Touchant les observations grammaticales, de critique, philosophiques, historiques ou tirées des auteurs profanes

En septième lieu, il se faut abstenir autant qu’il se peut de toute sorte d’observations étrangères à la théologie. Je mets en ce rang (1) les observations grammaticales de quelque nature qu’elles soient, lesquelles n’étant pas de la connaissance du peuple, ne font que l’ennuyer et le rebuter. On s’en peut néanmoins servir quand elles fournissent un beau sens, ou qu’elles donnent lieu à quelque importante observation touchant la chose même, pourvu que cela se fasse rarement et bien à propos. Je mets (2) en ce rang les observations de critique, ou de la variété des ponctuations, ou autres telles choses. On peut si on veut se servir des lumières que la critique donne, mais il faut encore épargner à un peuple le menu, qui ne lui peut être que très désagréable. (3) Il faut encore mettre en ce rang les observations philosophiques ou historiques, ou celles qui appartiennent à la rhétorique, et si on s’en sert, il faut au moins y insister très peu et choisir celles qui peuvent donner quelque lumière pour l’intelligence du texte, ou en rehausser l’éclat et la beauté, et rejeter les autres. (4) Je dis la même chose des passages des auteurs profanes ou des rabbins, ou des Pères, dont plusieurs enrichissent leurs sermons. Tout cela n’est qu’une vaine ostentation du savoir qu’on a acquis par la lecture, et le plus souvent ceux qui remplissent les actions de ces sortes de choses ne le savent que par le rapport d’autrui. Je ne blâmerais pourtant pas un homme qui en userait discrètement ; une allégation [21] non commune et faite bien à propos fait un assez bon effet.


Annotations

[1] interdit l’usage de

[2] ne démontre

[3] omet de dire, passe sous silence

[4] moyennes, de moyenne qualité

[5] non plus

[6] habitude

[7] commettre le péché de paillardise, de luxure, d’impureté

[8] ôtez-vous

[9] action d’ôter ce qui est mauvais

[10] « Les montagnes accouchent, et une souris ridicule vient au monde. » (Horace)

[11] « Que pourrait apporter celui qui promet tant pour être à la hauteur de sa promesse ? » (Horace)

[12] « Il ne faut pas exagérer ! » (Terence)

[13] ajoutez que, outre que

[14] efficacité

[15] pas non plus

[16] porter au-delà de la juste raison, pousser trop loin, exagérer

[17] correspondances

[18] en

[19] mis en doute

[20] est approprié

[21] citation

 

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