Nous savons assez peu de choses sur la vie de (François-)Léon Réguis [1] ; une bonne partie des renseignements le concernant provient des archives départementales [2]. A notre grand regret, nous n’avons pas trouvé de portrait du curé.
Réguis naît le 27 octobre 1725 à Barret-le-Bas (aujourd’hui : Barret-sur-Méouge), une commune située dans le département des Hautes Alpes et appartenant au diocèse de Gap. Il est le fils de Balthazar Réguis [3] et de Marie Bernard [4]. Il a au moins un frère (Balthazar) et une sœur (Agathe).
Réguis fait une licence de théologie à Paris. A seize ans déjà, il prend le titre d’ecclésiastique : il l’ajoute à son nom, dans une signature du 16 janvier 1741, et le 30 mars de la même année, il se qualifie clerc tonsuré [5].
Il est ordonné prêtre sous l’épiscopat de Jacques-Marie de Caritat de Condorcet (1703-1783). Cet évêque résolument antijanséniste occupe le siège épiscopal de Gap de 1741 à 1754, date de son départ à Auxerre. Réguis va le suivre [6], car Mgr de Condorcet l’appelle à la cure de Bonny-sur-Loire (Loiret ; à l’époque dans le diocèse d’Auxerre) en août 1758.
Intérieur de l’église de Bonny-sur-Loire
Mgr de Condorcet poursuit dans son diocèse son combat sans merci contre les jansénistes. Ses visites pastorales suscitent de véritables émeutes, ce qui contraint Louis XV à l’exiler temporairement, puis à le déplacer en 1761 sur le siège de Lisieux. Son successeur comme évêque d’Auxerre [7] est Jean-Baptiste-Marie Champion de Cicé (1725-1805) [8].
N’ayant pas obtenu le doyenné de Saint-Fargeau (Yonne) [9] , Réguis démissionne [10] et rentre dans le diocèse de Gap [11].
Le 9 septembre 1765 il devient curé de Barret-le-Bas, son lieu de naissance.
La première signature de sa main que l’on retrouve sur les registres de Barret-le-Bas est du 10 novembre 1766 [12].
En cette année [13], il publie La voix du pasteur, une collection de prônes [14] en deux volumes. Cet ouvrage connaît un grand succès de librairie ; il est également traduit en allemand (1769), en italien (1770), en espagnol (1773), en néerlandais (1777), en portugais (1785) et, plus tard, en polonais (1857) [15].
Le 26 septembre 1770, Réguis est présent à Gap, en qualité de député de l’archiprêtré de Ribiers à l’assemblée du Bureau ecclésiastique diocésain [16].
Le 5 janvier 1773, Réguis est nommé curé de Notre-Dame-du-Hamel (Eure, Normandie) appartenant au diocèse de Lisieux ; il prend possession de sa cure le 16 février de la même année [17].
Eglise de Notre-Dame-du-Hamel
Son successeur comme curé de Barret-le-Bas est son oncle et presque-homonyme, François Honoré Réguis (1711-1787) [18].
« En venant s’installer à Notre-Dame-du-Hamel, l’abbé Réguis avait amené avec lui son frère Balthazar Réguis de la Prade, dont le nom et la qualité sont plusieurs fois cités dans les papiers conservés au presbytère, et sa sœur Agathe Réguis, mariée à un certain Boyer du Berrois, docteur-médecin au Hamel. » [19]
Toujours en 1773, Réguis publié une suite de la Voix du pasteur : cette Deuxième Dominicale paraît en quatre volumes [20].
Dès 1774, Réguis porte également le titre de « doyen de Montreuil » [21].
« Le 6 août 1780, le curé réunit ses paroissiens et rédige avec eux une demande en décharge d’impôts à cause de la sécheresse extraordinaire de l’année ; les habitants font valoir qu’ils n’ont pas récolté 1/50 du rendement ordinaire des pommes, ni 1/100 de celui des poires, que la plupart des arbres fruitiers sont desséchés, les herbes brûlées, etc. » [22]
Toujours en 1780, Réguis « doit sévir contre le maître d’école de Notre-Dame-du-Hamel qui ameute la paroisse contre lui » [23].
A cette époque, Réguis est impliqué dans plusieurs procès [24]. Le plus important concerne la possession d’anciens réservoirs que la cure revendique. Réguis a gain de cause et fait placer dans le chœur de l’église une lampe en métal argenté, autour de laquelle se trouve en gros caractères l’inscription suivante : « Me Réguis, curé de Notre-Dame-du-Hamel, apporta cette lampe de Rouen, avec l’arrêt du 30 Avril 1787, qui maintient le presbytère en possession des réservoirs. » Par arrêt du 20 novembre 1787, le bailliage d’Orbec condamne le curé à effacer cette inscription et à payer 200 livres pour amende et frais du procès.
En 1787, Réguis publie également sa Lettre à un jeune curé.
Le 12 avril 1788, il donne sa procuration pour résigner son bénéfice en faveur de Nicolas Vy, vicaire de Notre-Dame-du-Hamel. Il se réserve une pension de 1400 livres à prendre sur les revenus de la cure.
Par la suite, il repart pour sa terre natale, où il meurt. La plupart des auteurs modernes fixent sa mort en février 1789, sans citer leurs sources [25].
Sources principales
Annotations
[1] Selon l’Abbé Dubois, « [s]on acte de baptême ne lui donne qu’un seul prénom : celui de Léon; mais un acte du 14 février 1741 le désigne sous les noms de Léon-François ; ce sont ces mêmes prénoms que nous retrouvons dans sa nomination à la cure de Barret-le-Bas, à celle de Notre-Dame-du-Hamel, et que les différents titres actes, procès, etc. ... que nous avons consultés lui attribuent constamment. » Dans les registres, on l’appelle tantôt François-Léon (arrivée à Bonny-sur-Loire (Document 1) ; arrivée à Barret-le-Bas (Document 3)), tantôt Léon-François (départ de Bonny-sur-Loire (Document 2) ; arrivée à Notre-Dame-du-Hamel (Document 4)). Comme les auteurs modernes utilisent exclusivement François-Léon, nous avons également adopté cette appellation.
[2] En 1847, Moïse Travès, dans son « Essai sur Réguis », écrit : « A notre vif regret, nous n’avons rien de nouveau à dire sur la vie de Réguis. La date de sa naissance, celle de sa mort nous sont inconnues ; son origine ne l’est pas moins. Tout ce que nous avons pu recueillir, et cela grâces à la bienveillance d’un homme digne de foi, se réduit à bien peu de chose. Nous avons hésité un instant à redire ce qui nous avait été confié : « Deux personnes qui avaient tenté des recherches à ce sujet, qui s’étaient rendues à Gap pour prendre des informations, n’ont rien trouvé. L’une d’elles est seulement parvenue à trouver une femme âgée, qui avait encore connu Réguis et assisté à ses prédications ; mais tout ce qu’on put tirer d’elle, après lui avoir fait recueillir ses souvenirs, c’est que c’était un bon curé, fort aimé de ses paroissiens. » On doit donc regarder la vie de Réguis comme une de ces existences enfouies dans les soins obscurs du ministère, et sa prédication, comme n’ayant pas eu de retentissement, si ce n’est dans le cercle assez limité de son action pastorale. » Force est de constater qu’en 1847, moins de soixante ans après la mort du curé, on ne sait déjà plus grand chose sur lui.
[3] L’Inventaire sommaire des Archives départementales antérieures à 1790, Impr. Jouglard père et fils, 1895, p. 107 mentionne, à la date du 8 novembre 1753 : « Commission à Balthasar Reguis, de Barret-le-Bas, pour tenir les écoles de Pomet. » Mais ce semble être le frère et non pas le père de François-Léon.
[4] Sa famille semble avoir appartenu à la classe bourgeoise.
[5] Abbe Dubois, p. 11, citant comme source le Registre de la paroisse de Barret-le-Bas et des notes du curé du lieu. Guy Besse, p. 159, date la tonsure au 28 juillet 1744, sans citer ses sources.
[6] Les circonstances exactes nous sont inconnues. L’abbé Dubois écrit à ce sujet : « Connaissant l’éloquence et le zèle de l’abbé Réguis, sûr aussi de sa doctrine, peut-être Mgr de Condorcet fut-il heureux de l’emmener avec lui pour l’aider dans les luttes qu’il devait prévoir dans son nouveau diocèse. »
[7] C’est d’ailleurs le dernier évêque d’Auxerre. Le diocèse est supprimé en 1790. Il est fusionné en 1823 avec l’archidiocèse de Sens, sous le nom d’archidiocèse de Sens-Auxerre.
[8] Dinet, « Une déchristianisation … », note 29 , forme l’hypothèse que le nouvel évêque apprécia moins Réguis.
[9] Dominique Dinet, « La déchristianisation … », signale dans la note en bas de page 14 que Réguis « faillit obtenir le doyenné de Saint-Fargeau en 1760 » (c’est nous qui soulignons). Si cette date est correcte, l’échec se situe à un moment ou Mgr de Condorcet est encore évêque d’Auxerre. Mais alors on ne comprend pas pourquoi le même Dinet établit un lien entre cet échec et l’appréciation de Réguis par le successeur de Mr de Condorcet ; en effet, il écrit dans son article « Une déchristianisation … », note 29 : « En revanche, son successeur apprécia moins, ce qui expliquerait l’échec et le départ de Réguis. »
[10] Voir Document 2 ; l’appel du successeur date de l’an 1766. Selon toute vraisemblance, la cure de Bonny est restée vacante quelque temps.
[11] Yves Nédélec, Le Diocèse de Lisieux au XVIIIe siècle, p. 135, explique ce retour à la nostalgie du pays : « D’autre part, curés ou vicaires font tout leur possible pour être nommés non loin ou au lieu même où ils sont nés et où réside le plus souvent leur famille. L’abbé Réguis, du diocèse de Gap, attiré dans celui d’Auxerre par Condorcet, retourne à son pays natal quand son évêque est nommé à Lisieux. Au bout de quelques années, il accepte la cure de N.D.-du-Hamel, mais la mort de Condorcet lui permet de terminer ses jours dans ses Alpes natales. Cette « nostalgie » joue également à l’intérieur du diocèse … »
[12] Abbé Dubois, p. 12
[13] Le permis d'imprimer est daté du 10 septembre 1766.
[14] Un prône est une instruction orale que le curé ou un vicaire fait tous les dimanches en chaire, à la messe paroissiale. Une prône est en général plus court et moins solennel qu’un sermon.
[15] Les années correspondent à la date de publication de l’édition la plus ancienne que nous avons trouvée. Selon Tackett, p. 87, l’ouvrage dans sa version française était imprimé jusqu’en 1855.
[16] Abbé Dubois, p. 13
[17] Voir Document 3. Notons que l’évêque de Lisieux est alors … Mgr de Condorcet.
[18] L’abbé Dubois dit de lui qu’il est « né au même endroit, le 9 octobre 1711, de Charles Réguis et de Madeleine Armand, curé de Barret-le-Bas, au moins depuis le 18 mai 1773 jusqu’au 1er février 1787, date de sa mort. Il gouverna la paroisse du Barret durant quatorze ans (1773-1787). Il y avait, longtemps auparavant, rempli les fonctions de « prêtre secondaire », jusqu’en 1743; l’année suivante, 9 mars 1744, il avait été nommé curé de Pomet, paroisse limitrophe. Il porte même ces deux titres dans un acte de mariage du 9 août 1769. » Voir aussi Document 5.
[19] Abbé Dubois, p. 14
[20] Du coup, on désigne les deux premiers volumes comme les Premières Dominicales, bien que ce sous-titre est absent de l’édition de 1766. A juger de la difficulté de se procurer un exemplaire, la diffusion de cette deuxième série semble avoir été beaucoup plus restreinte que celle de la première série, qui fut un véritable best-seller.
[21] Selon toute vraisemblance, ce Montreuil est Montreuil l’Argillé, qui se situe à quelques kilomètres de Notre-Dame-du-Hamel.
[22] Abbé Dubois, p. 15
[23] Yves Nédélec, op.cit., p. 219
[24] Abbé Dubois, p. 15s : « On pourrait trouver cependant que, à vivre en Normandie, il s’est, un peu trop vite, – comment dirai-je ? – normanisé, à supposer que les Normands seuls soient plaideurs. Les plus grosses liasses de papiers qui nous restent de son administration sont, en effet, ou des réquisitoires, ou des défenses, ou des arrêts, ou des exploits, en un mot, tout l’attirail des procès. »
[25] L’abbé Dubois, qui a bien étudié la biographie de Réguis, ignore la date de sa mort : « … nous ne possédons aucun renseignement sur les dernières années de la vie de notre auteur et nous ne connaissons pas la fin de cette existence si mouvementée et à la fois si bien remplie » (p. 18).